Diabolo Grenadine
Non, « Grenadine » n’est pas une erreur d’orthographe, il est bien d’usage d’écrire « Les Grenadines ». Toutefois, à l’issue de notre quinzaine dans le sud des Antilles, il convient de reconnaître que Béquia, la plus nord des Grenadines de St-Vincent, est à ce jour, et restera jusqu’à notre prochaine expédition, celle que nous appelons désormais non sans humour « notre île Grenadine préférée ».
Pour mieux comprendre cette étrangeté, il nous faut revenir en arrière de quelques semaines, quand Amandine, notre invitée toute neuve et toute souriante, est récupérée en baie de Fort de France, fraîchement débarquée de l’avion.
Pour commencer, afin de rejoindre Takoumi, nous lui infligeons le supplice de l’annexe. Heureusement, entasser trois adultes et un sac plus gros et lourd que sa propriétaire dans notre ridicule annexe de plage tourne vite à la franche rigolade humide… Et puis on est content de la voir notre copine 😉
Le trajet prévu pour amariner notre nouvelle équipière est un peu audacieux puisque nous prévoyons de quitter Fort de France au matin après une bonne nuit au mouillage pour atterrir directement à Béquia au petit matin, après une nuit en mer, boudant ostensiblement Sainte Lucie et St-Vincent dont nous ne souhaitons pas vérifier la réputation avant d’avoir bien profité des décors majestueux des Grenadines.
Globalement, le trajet se passe bien, pas un pet de vent et des conditions de mer dignes d’une risée Perkins (la marque du moteur), nous dépassons peu à peu tous les points de chute que nous avons repérés comme refuge valide en cas d’inconfort maritime, Grande Anse, le mouillage de Ste-Anne, les deux Pitons de Ste-Lucie et le Lagon Bleu de St-Vincent… Rien à signaler, pas même notre nouveau mousse qui écrasera tout du long du sommeil du juste … Ou du voyageur fatigué par l’avion, c’est selon. Au moins profitera-t-elle d’une belle arrivée à la voile sur l’île. Pavillon de courtoisie et de douane envoyés sous les barres de flèches.
Les premiers contacts sont sympathiques, nous prenons une bouée et attendons le « percepteur » avec lequel nous lierons des liens quotidiens les jours suivants. Nouvelle séance d’annexe pour rejoindre le rivage, et sans le sac, c’est déjà plus simple.
Les formalités sont ici de simples … formalités … Destinées sans doute à justifier la perception de taxes. Du coup, deux formulaires en triples exemplaires et 3 tampons de visa plus tard, nous partons à la découverte de l’île de Béquia.
Sur cette île anglophone, Il faut d’ailleurs prononcer [bèqouè]… Et non pas comme moi se poser la première journée la question de savoir pourquoi les gens parlent tout le temps de « la rue de derrière » ou « backway » … Que j’ai pour ma part trouvée sans intérêt et plutôt vide en comparaison du front de mer.
Justement, le front de mer du mouillage de Port Elizabeth, puisque c’est ainsi qu’est nommé le bourg, est assez animé, les taxis proposent leurs services pour la découverte express de l’île et il y a du monde qui se promène le long des échoppes et des stands d’artisanat qui proposent des objets en bois, noix de coco ou os de baleines gravés … Car oui, ici ils pratiquent encore la chasse à la baleine …
Alors, je rassure tout de suite les esprits de quelques uns que je sens déjà s’échauffer, lors de ces pêches traditionnelles, au vu de l’équipement sommaire et du faible nombre de prises, il me semble bien que ces nobles cétacés aient leurs chances.
Plus loin, mais pas beaucoup plus, les 400 mètres de « centre ville » laissent place à une promenade aménagée en bord de mer longée par de nombreux établissements où se restaurer ou boire un verre accessible également depuis le mouillage grâce à une suite de petit pontons à annexes. Notre premier choix est calamiteux, les menus sont tous plus ou moins « à l’anglaise », mais le concept même du « Fish and chips » à énormément souffert de l’interprétation locale.
Sans doute pour ne pas rester sur cette vilaine impression, les filles organisent la suite de la visite à l’insu de ma volonté, et me voilà installé de nouveau dans un taxi collectif ici appelé « dollar bus », bien que la course en coûte deux … L’engin est vert paillettes, tuné comme une voiture de Fast and Furious », éructe de sons electro / heavy metal et est blindé de gamins qui rentrent de l’école. Hormis ça, le mode opératoire est curieusement identique à celui de Mindelo avec le chef qui conduit et le gamin qui entasse les voyageurs et empoche à la sortie. Cette fois, le pilote est tellement content d’avoir à côté de lui deux charmantes touristes, qu’il se muera en guide le temps d’une rotation, et c’est lui qui nous déposera dans un bar du quartier d’habitation en nous laissant à l’attention de … Toko.
Et c’était une bien belle idée de nous laisser là, le maître des lieux, gabarit armoire à glace et tête de repris de justice, Toko donc, se révèle être un hôte agréable, intarissable d’excellents conseils sur les Grenadines et la navigation dans ces lieux.
Le Toko’s bar est face à la mer et le jardinet aménagé accueille une barque de pêche en réfection dont il nous semble que la mise à l’eau prochaine est compromise par la soif de rhum du charpentier qui ponce, qui ponce, qui pionce … 😉
Ensuite, de 100 dollars EC pour chacun une langouste, nous obtenons un menu au tarif négocié de 130 EC pour nous trois, et de la terrasse, nous voyons le cuisinier aller chercher notre langouste à même le vivier, de l’eau jusqu’aux genoux, au milieu de la crique qui borde le restaurant. Ce repas là fut excellent… La fricassée de langouste accompagnée de légumes préparés de manières variées est vraiment très bonne. A la nuit tombée, nous prenons congé de notre hôte et reprenons le « dollars bus » pour rentrer au mouillage ou nous attend une nuit de repos bien méritée.
Nous restons encore une journée bonus sur Béquia, les lieux nous plaisent, le mouillage est confortable et nous rencontrons Sheryl, la tenancière du restaurant « Fig Tree ». La femme est sympathique et son établissement est proche du bateau, accueillant et pourvu d’un excellent « wifi »… Et ce qui ne gâche rien, les plats sont bons. Nous apprenons aussi qu’elle anime tous les matins une émission radio sur la VHF 68, météo, nouvelles de l’île, promotion des services du mouillage et du bourg, sans oublier les animations du jour. Une belle initiative qui sera je n’en doute pas érigée en « incontournable » de l’île sur tous les prochains guides de navigation. Ce serait vraiment un minimum pour cette belle personne qui s’implique tant dans la vie et développement de son île. La dernière surprise sera de la découvrir présidente du club de lecture pour enfant qu’elle accueille et anime dans son restaurant.
Cette « dernière » journée sur Béquia est organisée autour d’une séance plage dont le point fort sera le retournement de l’annexe au moment du départ vers le café … Nous apprenons de cette aventure que beacher et quitter une plage avec des vagues n’est jamais exempt de risques, que le sac étanche où nous rangeons tout ce qui craint l’eau à chaque voyage n’est pas une précaution inutile, que l’eau mouille et que le ridicule ne tue pas. A part ça, ni peur, ni mal, l’annexe reste opérationnelle pour la pêche aux oursins que Manuela entreprend dans la foulée, mais dont les espoirs seront douchés après avoir goûté deux spécimens qui apparemment n’ont pas bon goût.
Au lendemain, nous sommes fin prêts pour partir vers Cariacou, prochaine étape vers Grenade avant une remontée paisible des Grenadines.
Mais la mer est cruelle et Amandine ne se sent pas bien. Nous avions eu la chance qu’elle supporte plutôt bien la première partie du voyage, notamment parce qu’elle dormait profondément. Cette deuxième partie, plus courte et ne comptant qu’une navigation de jour, est effectuée par un bon vent de travers et les vagues qui vont avec. Rien d’exceptionnel, mais pas franchement adapté aux oreilles internes fragiles.
Oreilles fragiles ou pas, le phénomène est fulgurant et moins de 3 heures après l’appareillage, nous décidons de rebrousser chemin. D’une part, nous n’avons pas l’intention de faire subir 10 jours de martyr à notre amie et d’autre part, je soupçonne le mal de mer de n’être pas la cause exclusive de son état et très franchement, je préfère être en Martinique que devant « l’île fantastique » (« fantasy Island » en VO) si nous devons faire face à quelque chose de plus sérieux nécessitant un retour précipité en métropole. Pour l’heure, hors de question de refaire d’une traite le trajet jusqu’en Martinique, le cap est donc mis sur … Béquia … Et c’est ainsi que vous comprenez pourquoi cette île restera jusqu’à notre prochain passage notre Grenadine préférée. Nous sommes tous un peu tristes d’abandonner nos projets, même si nous n’excluons pas de repartir pour un parcours réaménagé « light », mais l’état d’Amandine s’améliore à peine le demi tour effectué, bien que nous soyons alors au près … ce qui nous conforte dans notre décision.
A Port Elizabeth, nous réorganisons la suite à la table de Sheryl. Pas une seule ligne directe entre Béquia et la Martinique. Amandine doit bel et bien subir le retour en terre française avec nous. Sur cet épisode, j’ai froid dans le dos en comprenant que si le cas avait été plus grave, nous aurions été loin de tout « parcours santé » à la française…
Du côté des douanes, à ma grande surprise, cela se passe bien et l’histoire « on est partis et puis, on est pas partis en fait » se résous sans formulaires ni taxes supplémentaires.
Puisque nous sommes à terre pour la journée, aidée de Sheryl et sur une boutade de ma part (parfois, je perds l’occasion de ma taire), Amandine va nous chercher une « rebouteuse » et nous trouver une … « homéopatheuse » ? Son rendez-vous est l’occasion pour Manuela et moi de découvrir les hauteurs de l’île, squattée par les maisons secondaires de riches anglais. Soyons francs, ils n’ont pas réquisitionné les quartiers les plus laids de l’île.
Comme la journée n’est pas terminée, une promenade touristique s’impose. Nous prenons donc le taxi touriste pour nous rendre au sanctuaire des tortues … Et là, patatras … Sanctuaire mon œil oui … Un vieillard et son exécrable boy gèrent un odieux « mouroir a tortues » où elles sont retenues dans des conditions déplorables pour l’unique enrichissement du propriétaire des lieux aux dépends, des tortues certes, mais aussi des touristes qui paient une fortune pour assister à cette horreur mal emballée par une trop faible aura de respectabilité que sous entend le terme sanctuaire. Pas difficile à démasquer, l’homme est incapable de répondre correctement à quelque question que ce soit concernant les campagne de remise en liberté ou d’éducation des locaux qu’il est pourtant sensé organiser. Ce vieil homme pue la malhonnêteté comme un étron sur le sable.
Cette mauvaise expérience difficilement avalée, nous rentrons au mouillage pour le dîner au Fig Tree et la nuit à bord… Au lendemain, Amandine est prête pour le voyage retour, les douaniers s’enquièrent de sa santé, un mail envoyé au port pour demander « asile » au port du Marin et l’ancre est prestement levée en fin de matinée.
La journée est superbe, un peu plus secouée que les précédentes, mais avec une bonne vitesse et un cap pas trop calamiteux. Amandine a trouvé une place en hauteur qui si elle ne la préserve pas, au moins, lui convient.
La nuit par contre l’est, calamiteuse, vagues ininterrompues malgré la protection de Ste-Lucie, dérive honteusement énorme et temps de chien. Les quarts de nuit seront, au moment de la traversée Ste-Lucie / Martinique, le théâtre d’une nouvelle partie de cache-cache avec des grains humides à plus de 25 nds de vent.
Encore une fois, le mouillage de Ste-Anne est au petit matin notre refuge, notre havre de paix. Cette fois-ci, ni Manuela ni moi n’avons dormi et une fois tout en ordre, partons nous coucher… C’est avec un ultime espoir que je consulte mes emails … J’hésite deux secondes à prévenir Amandine que j’interpelle depuis ma bannette sans même chercher à me relever. – « Amandine ? » – « oui ? » – « j’ai une nouvelle pour toi, … ce soir, tu dors au port ! » Et je m’endors au son de son cri de joie.