Notre première semaine après notre départ n’est pas une sinécure car nous avons comme objectif de rejoindre le chantier de Jolly Harbour d’Antigua pour sacrifier au rituel du carénage.
Pourquoi Antigua ? Parce que la très redoutable efficacité des chantiers de Point-a-Pitre est bien incapable, malgré un tarif très supérieur, d’égaler le professionnalisme de celui de Jolly Harbour. Impossible d’organiser quoi que ce soit avec les chantiers de Guadeloupe, même après deux semaines d’échanges du type « quelle couleur l’antifooling bleu ? » … En moins d’une demi journée, l’affaire était entendue avec Jolly Harbour: devis téléphoniques confirmés par email, dates et heures réservées. Avec le chantier comme avec le prestataire conseillé … Une efficace idée du service en somme. Il est même convenu que nous fournissons la peinture nous mêmes pour s’assurer de la pleine compatibilité du produit avec les reliefs de l’ancien … et notre portefeuille, car la seule chose sur lesquels ils ne sont pas très compétitifs est bien le prix des fournitures. Nous avons quand même économisé un peu plus de cinq cents euros en achetant notre antifooling en pot « taille professionnelle » au très sympathique Uship de Jarry qui devient de fait notre shipchandler de référence en Guadeloupe après l’accueil bien morne que nous avait réservé celui de Rivière-Sens.
Notre trajet Deshaies – Jolly Harbour est bien lent. Affectés d’une dérive impressionnante, nous cheminons « en crabe » onze heures durant, preuve est faite, s’il en était encore besoin, que le carénage est devenu une nécessité après quatre mois d’immobilité en marina. Ce n’est qu’après l’heure de fermeture du bureau des douanes que nous mouillons enfin pour deux jours de repos bien mérités dans la baie d’accès à Jolly Harbour, qui se révèle être un programme immobilier type « cité lacustre à l’antill’anglaise » avec terrasses face au bras de mer et pontons privés. Un luxe à moins de 400.000 $ us qui peut faire réfléchir avant d’investir dans un deux pièces cabine sur la côte d’azur pour les vacances.
La marina, elle, se situe tout au fond de cet entrelacs d’hôtels et de maisons privées. Elle est accueillante et propose ses nombreux services à une clientèle un peu plus huppée qu’ailleurs-et âgée-et qui se déplace en voiturette de golf. Les places de pontons sont gigantesques et peuvent accueillir de bon gros catamarans malgré l’usage de « ducs d’albe » dont je n’ai pas retenu le nom local.
Toujours est-il que nous nous pointons deux jours plus tard à l’heure convenue face au chantier et qu’ils nous prennent en charge immédiatement. C’est au tour de Manuela de présider aux manœuvres de port et elle effectue une belle manœuvre pour nous insérer dans la -mal nommée en la circonstance- cale de mise à l’eau. Heureusement que nous avions débarrassé l’hélice de sa faune et de sa flore sur les conseils de Thierry, notre cher voisin de ponton de Riviere-Sens. Au moins, même sans être manœuvrant, Takoumi est manœuvrable.
Une fois proprement amarré dans la cale, nous faisons la connaissance de Ralph, le chef de chantier, de Mario et de Cliff. Ils nous font patienter jusqu’à l’arrivée du grutier qui dirige depuis sa télécommande un magnifique « travel lift » qui n’a aucune difficulté à extirper notre fier canot de son élément. Ils ont même prévenu Jesse, le prestataire que nous avons retenu pour s’occuper de la coque, qui vient nous saluer, constater l’ampleur de la tâche et régler les derniers détails. Pour ma part, si j’admets que plus un seul centimètre carré de la coque n’est visible, au moins conviendrez-vous avec moi que l’on reconnaît encore la forme 😉
Petit aparté, la sortie de l’eau d’un bateau est toujours un moment impressionnant pour ses propriétaires, qui à cette seule occasion peuvent prendre la véritable démesure de l’énormité de l’objet que, le reste du temps, ils considèrent souvent comme bien petit 😉
L’heure du déjeuner approchant, il nous faut patienter jusqu’au milieu de l’après midi pour reprendre pieds sur notre bateau, fermement calé sur de grandes échasses qui portent son pont et donc notre lieu de vie à l’altitude de quelques mètres, assez perturbante quand on a l’habitude d’y vivre, pour ainsi dire, au ras de l’eau. La première journée aura donc été l’objet d’une longue attente, de la découverte du chantier … et d’aucun bricolage.
Le chantier justement, est plutôt agréable et aéré, les bateaux stationnés se disputent les places de « bord de mer » sur du béton ou une verdoyante pelouse. Nous sommes pour notre part entre ces deux univers … sur de la terre :-/ On ne peut gagner à tous les coups 😉 Mais nous n’avons pas tout perdu, nous sommes en face de la sortie, de la guérite du garde et du restaurant-snacks de Linda qui trois jours durant nous régale de ses plats maison pour le café et le déjeuner. Le courant est bien passé avec elle, et le dernier matin, alors que je viens seul chercher les cafés « immediat-post-réveil », cette dernière me demande avec un grand sourire « Elle est où ma copine ? »
Nous jèterons un voile pudique sur les sanitaires du chantier pour préférer ceux, très fréquentables, de la marina après que Manuela eut à souffrir de partager sa douche avec quelques blattes. De fait, nous évitons de confier notre linge à la laverie qui se trouve de l’autre côté de la cloison.
Là encore, nous ferons des rencontres, Michel et Marianne de « Sherbro » sont nos voisins de chantier, et nous avons pris beaucoup de plaisir à ponctuer nos « tâches de chantier » de discussions intéressantes. Originaires de Suisse et grands voyageurs, ils ont une très bonne connaissance d’Antigua, du chantier et regorgent de contacts locaux.
Au deuxième jour, les choses sérieuses commencent, Jesse ponce, ponce et ponce encore toute la matinée, le résultat est honorable, mais ce n’est qu’en fin de journée avec la première couche de peinture que les fruits de son travail crèvent les yeux … Au moins, là, c’est propre et nous sommes très satisfait de la qualité du travail fourni. Il y reviendra le lendemain matin pour déposer une troisième couche avec le reste de peinture et s’occuper de l’hélice que nous lui avons demandé de nettoyer et recouvrir d’un autre produit.
Pour notre part, la journée ne se limite pas à regarder les autres travailler, ce que font pourtant bon nombre de propriétaires ici.
Tout d’abord, nous rencontrons Ruth, la belle fille de Mario, à qui nous souhaitons confier un gros travail de couture … pensez-donc, 34 mètres d’ourlet sur le tissus que nous avons acheté pour faire de nouveaux tauds de soleil (et de pluie). Nous avions tenté de les faire coudre en Guadeloupe, mais la vielle couturière de Basse-Terre nous avait asséné après moult discussion un laconique « pas avant Noël » qui nous avait laissé pantois et démunis. Ruth réalisera cette tâche en moins de 24 heures, recherche du fil adéquat compris. La pauvre n’a d’ailleurs pas fermé l’œil de la nuit de peur que nous refusions de la payer pour une erreur de coupe qu’elle a pourtant très bien rattrapée d’une solide couture. Heureusement, ce n’est pas notre genre de martyriser les gens qui acceptent de travailler pour nous … mais à tout bien réfléchir, c’est peut-être celui des gens qui nous entourent.
Les deux autres gros postes de la journée sont le démontage/remontage complet du pilote automatique qui enfin ne fuit plus et le remplacement de l’abominable tuyaux de pompe de cale qui elle, pompe enfin … comme un vrais shadock !
Dans le même temps, Manuela remplace le joint bien fatigué de la cabine avant qui sera bientôt occupée par une invitée que nous aurions aimé conserver au sec.
Et pour terminer cette journée bien remplie, de menus bricolages viendront dans les semaines qui viennent, je l’espère, ajouter à notre confort.
… Et dire qu’il y en a qui appellent ça des vacances !
Au troisième jour, l’attente commence pour la remise à l’eau, paiement de la facture sans grosse surprise, devis respectés par tous les intervenants. Fin des travaux et ultimes retouches, rendez-vous à 10h30 avec la grue et mise à l’eau avant midi … comme sur du velours quoi …
Emportés par l’enthousiasme et les belles performances retrouvées, nous décidons de mouiller à Hemingway Bay … mais nous renonçons car le vent s’oriente suffisamment mal pour rendre la baie sinon insalubre, au moins inconfortable. Qu’importe, nous y reviendrons la semaine prochaine.
J’en profite pour rappeler à nos amis que la construction du programme immobilier de « East Point » n’est pas entamée et qu’il doit être encore possible de réserver le bel emplacement sur la plage quasiment privative qui les avait fait rêver…
Le trajet retour à Deshaies le lendemain pour revenir chercher notre invitée est promptement parcouru, si promptement que nous en avons percuté notre premier objet flottant non identifié … que nous identifions plus tard comme le gréement d’un dériveur léger flottant entre deux eaux … Pas grand mal sur ce coup là, si ce n’est un petit éclat sur la peinture de notre hélice qui n’aura pas été magnifique bien longtemps :-/
Quoi qu’il en soit, Takoumi a retrouver les performances de sa lointaine jeunesse et est de nouveau en pleine forme … Nous aussi 😉