Je ne sais plus comment j’avais décrit la Marina Linton à notre dernier passage, mais, pour en dresser un portrait rapide, disons, 3 pontons de bonne facture devant un terre-plein avec un travel-lift flambant neuf et une station service minimaliste. D’horribles sanitaires prennent place dans un container qui fait écho à un mini-entrepôt d’accastillage. Un autre container tient lieu de bureau « provisoire qui dure » et un bâtiment en construction perpétuelle servira d’accueil … un jour.
En ce moment, le bâtiment inachevé est investi par les plaisanciers qui ont installés des bancs en plastique dans ses étages pour profiter le plus confortablement possible de l’inefficace connexion internet.
En dehors de ça et du petit monde grouillant qui lui donne vie, il n’y a rien d’autre … même le sympathique bar flottant a passé la main à la désolation après avoir épuisé 3 entrepreneurs ces 6 derniers mois.
Autant dire que si nous avions êtes dépressifs, il en aurait été fini de notre réserve de kleenex. Heureusement, nous ne nous chauffons pas de ce bois là et occupons agréablement nos 15 jours de purgatoire par de multiples promenades et découvertes.
Au premier titre de notre plan anti-sinistrose : faire la fête. Notre bonne fortune ayant programmé une soirée à Panamarina le lendemain de notre appontement, nous nous y rendons en compagnie de Pierrick que nous entraînons au fallacieux prétexte qu’il a une bonne annexe et nous une bonne lampe. Nous comprenons juste assez tard qu’il s’agit d’une soirée costumée pour éviter un accoutrement bariolé qui affuble les autres participants. Enfin … presque, Pierrick se déguisant in-extremis en improbable « Vahiné blonde » avec les moyens du bord mis à disposition par Nico. Toujours est-il que le groupe de musique est excellent pour l’un de ses premiers engagements et nous profitons de l’ambiance jusque tard dans la nuit.
Second axe de développement personnel, nous entreprenons de découvrir la culture locale au travers des danses rituelles qui animent cette période de carnaval et c’est Pierrick, accompagné de sa charmante amie colombienne Solangel, qui cette fois nous entraîne jusqu’à « Cacique », le village voisin.
Solangel est peintre sur chaussures, colombienne et installée à Panama City d’où elle diffuse ses œuvres uniques. (mot clé : «solangelsus»).
Ceci dit, commander un taxi pour une heure précise n’a rien d’évident ici, et à l’heure dite, ce dernier devait cuver un lac de bière assoupi quelque part, car nous ne l’avons pas vu venir … Pour résoudre notre souci de transport, nous entreprenons une incursion au centre du village de Puerto Lindo à la nuit tombée et y découvrons un monde ahurissant … Les rues en terre sont remplies des habitants du village dans un maelström de musique, de street food et de bière … Les familles rassemblées devant chez eux et des électrons libres allant de groupe en groupe. Une folie au sein de laquelle nous trouvons enfin un taxi (un cousin du premier, mais moins aviné) disposé à nous emmener à Cacique.
Cacique est un village important d’une région où l’influence africaine, nous l’apprenons à cette occasion, est particulièrement importante. De fait, l’ambiance, la musique et les danses nous transportent à des milliers de kilomètres d’ici, dans un lieu hors du temps que nous imaginions réservé aux villages du continent originel.
La « danse du diable » est anecdotique et déstructurée en début de soirée, mais laisse la place à l’expression populaire de la séduction au rythme syncopé des tam-tams ancestraux. Et des plus jeunes aux plus vieux, tout le monde participe aux chants et aux danses sous la tonnelle du village, bien que nous remarquons que si les jeunes hommes et jeunes femmes se prêtent volontiers au jeu rituel, ce sont bien les anciens qui mènent le bal et pour les plus alertes d’entre eux, les tam-tams.
Nous quittons finalement le village en milieu de soirée, alors que la fête traditionnelle va se poursuivre jusqu’au plus profond de la nuit et que les rues en terre ne sont encore recouvertes qu’à moitié par les cannettes vides.
Le troisième acte du plan de sauvegarde de notre équilibre demeure nos folles expéditions. Si dans un premier temps nous visitons les bras de mer de la mangrove environnante, nous allons bien vite un peu plus loin … et surtout plus haut.
À l’apogée de cette expédition, le phare Gustave Eiffel de la « Isla Grande », île balnéaire locale que nous prenons soin d’aborder un jour de semaine afin d’éviter la foule. Notre matinée, avant de trouver l’unique restaurant ouvert de l’île se compose donc d’un trajet en taxi, d’une traversée en Lancha (barque locale) et d’un trek pédestre jusqu’au plus haut point de l’île où trône le fameux phare dans son habit de rouille et de peinture écaillée.
À ce moment là, une folle poussée de témérité nous pousse à pénétrer l’enceinte du phare et à entreprendre l’ascension du fier mais branlant édifice. Cette action aventureuse est immédiatement récompensée par une vue magnifique et imprenable sur tout l’horizon dont nous profitons quelques instants avant que les mouvements du phare induits par les fluctuations du vent ne nous encouragent à redescendre illico-presto.
Pour le reste, le village de Isla Grande présente un peu d’intérêt par le fait qu’il est principalement touristique, et est donc un peu plus « urbanisé » que les villages du continent. Avec de nombreuses maisons prêtes à accueillir touristes et promeneurs. Et surtout, semble-t-il, enfin, un balbutiement de collecte de déchets.
Après un déjeuner sur l’ile, nous repartons pour le continent, non sans avoir immortalisé par une photo le ponton que nous trouvons fort emblématique du Panama.
Hormis toutes ces activités externes, les abords de la Marina ne manquent pas de nous pourvoir en occupations. Comme la partie de pêche où Manuela part seule en annexe et revient en ayant perdue sa ligne et ses crevettes-leurres magiques dans une manœuvre hasardeuse. Si effectivement les crevettes sont perdues corps et bien, nous retrouverons le fil de pêche deux jours plus tard dans l’hélice du moteur hors-bord qui tout d’un coup libéré marchera tout de suite mieux.
À l’occasion d’une lutte acharnée de votre serviteur avec nos infâmes batteries lourdes comme 4 ânes morts, Manuela, encore elle, lance l’activité « coconut » avec l’aide des deux diablotins des voisins. Ces derniers ne s’arrêteront pas à participer à l’ouverture des deux noix de coco de Manuela, mais irons en recueillir près d’une dizaine au grand dam de leurs mère, qui fera quand même bonne figure en encadrant deux jours durant ces deux enfants terribles dans ce qui restera connu comme « l’activité Coconut » ! Pas de panique, inutile de fermer vos volets, ces deux troublions ne reviendront pas de sitôt en Europe, leur parents ayant décidé de s’installer à Medellin en Colombie plutôt que de retrouver la Belgique flamande qui les a vus naître.
Une autre belle promenade nous mène également sur la isla Linton, territoire des singes que nous n’avions encore jamais osés aborder.
Le reste de nos activités est somme toute assez classique, bricolages inégalement efficaces, achat de légumes aux nombreux vendeurs ambulants et point d’orgues, la réalisation de notre panneau « Amel for Sale » qui aura la charge de prévenir les promeneurs de pontons floridiens que Takoumi est à vendre.
Nous avons aussi plaisir à discuter avec notre voisin « Alex » américain et propriétaire « par hasard » d’un magnifique outremer 55 ultralight dont nous le soupçonnons de préférer organiser les réparations plutôt que de réellement naviguer. Accompagné de Sergio, un jeune colombien ex-sous-marinier d’un calme et d’une sérénité désarmantes et véritable navigateur du navire, ils décident d’embarquer pour la Colombie autant de jeunes backpackers qu’il leur est possible. Nous les retrouverons plus tard aux San Blas et en Colombie.
Quand enfin, nous sommes prêts à partir pour les renommées îles San Blas, il ne nous restera finalement que quelques jours d’attente avant que les conditions de mer nous semblent suffisamment confortables pour affronter la remontée du vent et surtout des vagues jusqu’aux Îles San Blas.
Quand nous quittons enfin Shelter Bay (ou Shelter Pay, c’est selon), notre premier arrêt ne nous est pas inconnu car nous retournons à Puerto Lindo et Isla Linton. Là même où nous avions atterris à notre arrivée des Îles Caïmans.
Non pas que le triptyque Marina Linton, Puerto Lindo et Panamarina soit incontournable, mais c’est une escale où nous avons quelques souvenirs plutôt agréables, à une demie journée de navigation côtière … Ce qui pour notre retour aux « affaires maritimes » nous convient parfaitement.
Bien que nous remontions vent et vagues, nous sommes très satisfaits de notre mise en « jambes ». La journée est belle et nous remontons à la voile sur plus de la moitié du chemin.
Revenir sur ses pas, l’endroit fusse-t-il anecdotique, c’est aussi retrouver ses marques et ses repères. Un sentiment agréable de confort et de sécurité que nous avons rarement ressenti au cours de notre périple qui jusqu’ici se présentait comme une route à sens unique.
Nous retrouvons donc le mouillage de Puerto Lindo, un poil plus encombré qu’à la mauvaise saison. Mais aussi la « Casa X », le restaurant de Hans et son fils Martin. Rien n’a vraiment bougé en 6 mois, pas même les chauves souris qui continuent de prendre racines sous le drapeau Brésilien.
Le restaurant français de Panamarina, tenu par Nico, reste un lieu de « gastronomie populaire » tout à fait recommandable. Pour certains, le « jour de la vache » hebdomadaire y est une institution qu’un garçon boucher ne renierait pas.
Sans surprise, la Marina Linton, reste une zone en chantier triste et sans autre intérêt qu’une connexion internet souffreteuse.
Las, point de ciel sans nuages au Panama, et à notre premier réveil, nous découvrons incrédules notre première avanie de la saison … batteries de service « à plat de chez à plat » … moins de 11 volts. Comme un coup de semonce qui annonce des ennuis et … des frais.
Heureusement, qui dit région familière dit aussi contacts … et nous retrouvons illico presto Pierrick, l’électricien français du mouillage, que nous avions rencontré à notre arrivée. Les batteries héritent du verdict « pas si mal que ça » voire « pas mauvaises du tout ». Le circuit de charge par contre n’inspire que suspicions.
Trois jours plus tard, sans diagnostic, nous sommes contraints de prendre la direction de l’austère marina pour pouvoir recharger, travailler à quai et dormir à plat … le mouillage est vraiment trop inconfortable avec la houle insistante.
Comme l’adage que j’ai entendu il n’y a pas si longtemps, les « emmerdes volent toujours en escadrilles » et le mauvais temps qui s’annonce nous immobilise 15 jours au port en terrain connu.
Nous en profiterons, souvent avec l’aide de Pierrick, devenu un bon copain, pour découvrir, un peu plus loin des terres inconnues.
À l’heure où nous nous préparons à rejoindre l’archipel des San Blas au Panamà, ultime refuge des indiens caraïbes, les Kunas, nous présumons pénétrer une zone de non connexion.
Je profite donc de nos dernières heures à Marina Linton et de son wifi famélique pour enfin annoncer la sortie du second tome des aventures de Takoumi, « D’un océan à l’autre … ou presque » qui reprend l’intégralité du blog de la seconde saison et que vous pouvez commander uniquement en ligne sur le site de lulu.com, notre nouvelle «maison d’édition».
À l’instar du premier livre de la série, vous retrouverez, j’espère avec plaisir, nos aventures de l’année passée 2016-2017 dans un format papier, bien plus confortable à lire qu’un blog à la chronologie inversée.
À l’aide de cet ouvrage, il vous sera toujours possible d’animer vos soirées et d’épater vos invités, d’autant mieux que les photos sont de bien meilleure qualité que l’année précédente.
Comme toujours avec ce livre, nous n’oublions pas l’aspect pratique et il se prête bien à caler une armoire, mais il vaudrait mieux que ce ne soit pas la même que celle que vous avez entrepris de rééquilibrer avec le premier tome … les deux volumes n’ont pas la même épaisseur.
C’est aussi l’occasion de compléter votre collection ! Mais j’avoue sur ce point que cela ne doit pas concerner grand monde. À moins bien entendu que vous ne cherchiez à acquérir aussi le premier opus de nos aventures, toujours disponible chez notre précédent «éditeur» edilivre.com
Toujours est-il que nous vous souhaitons autant de plaisir à lire et relire nos aventures homériques que nous en avons à les écrire et nous vous remercions pour vos nombreux encouragements et soutiens.
Nous continuerons cette saison à tenter de vous faire voyager avec nous, que vous soyez sédentaire endurci, de retour sur la terre ferme, toujours en voyage, ou impétrant globe flotteur.
Le 7 Janvier 2018 après quelques faux-départs, notre humble équipage de 2 s’envola pour Panamá retrouver notre bien-aimé Takoumi, un Amel Sharki de 1980. Pour commencer, désireux de lui offrir une carène toute propre nous avons prévu de rester quelques jours à Panamá City afin de trouver de la peinture antifouling adaptée – produit dangereux que nous n’avons pas pu mettre dans la valise pourtant remplie de pièces de rechange pour le bateau. Cet objectif simple se solde en belle partie de chasse au trésor Calzada de Amador, la longue route bordée de l’océan qui relie le continent et 4 petites îles de Panamá City. Et ce n’est qu’après la visite de tous les magasins sensés nous la vendre que la « peinture » est- mal- négociée sur les restes d’un ouvrier du chantier naval de la marina Flamenco : nous n’aurons pas mis longtemps à nous replonger dans le bain local de l’isthme americano-latino-central !?
Le Vautour – symbole du Casco Viejo de Panamá City et le Marché aux Poissons
Papayas !
Il était grand temps de quitter le Pacifique et de rejoindre la ville de Colón qui se trouve de l’autre côté de l’impressionnant canal de Panamá en Atlantique. Takoumi est resté 6 mois à la marina Shelter Bay, au beau milieu de la jungle et nous le retrouvons plutôt en forme malgré la saison passée d’orages et de pluies diluviennes. C’est un climat équatorial et pour illustrer notre ressenti, au bout de quelques jours Olivier décrit tout comme « Panamá dry » c’est à dire ayant l’air sec mais ne l’étant jamais vraiment !
Et comme il est difficile d’œuvrer 20 pieds au-dessus du sol nous avons fait vite de remettre le bateau à l’eau et de nous réinstaller, coque repeinte bien sûr ! Cela malgré quelques sueurs dues aux effets combinés du décalage – horaire, saisonnier et pondéral! La reprise en main du bateau est toujours une période charnière et nous sommes fiers d’avoir alors effectué nombreux travaux, maintenance et rénovation avant le départ pour ce troisième volet de nos aventures à bord de Takoumi.
La marina Shelter Bay est aussi un endroit clé entre une croisière aux Caraïbes et une grande traversée ou retour en Atlantique. C’est une sorte d’isthme également, entre la ville et la jungle toutes deux réputées dangereuses aussi nous y avons toujours vécu des moments forts et rencontres inoubliables. Je retiens filet de bœuf au barbecue d’Eric, les échanges avec Jean-Marie sur Antistress qui complète son tour du monde au départ de la Réunion – où nous espérons bien lui rendre visite un jour, Molly et Bryce sur Abracadabra avec qui nous expérimentons la zone libre hors taxe de Colón, et la rencontre du crocodile de la marina à plusieurs reprises !
Et le clou spectacle nous l’avons partagé avec Sam et Jean-Felix invités par Eric à visiter le chantier du pont majestueux en construction à Colón la veille de notre départ : quel privilège et fantastique épopée !!!
Le Canal de Panamá avec le nouveau canal tout-automatique sur la gauche pour les méga-cargos :
Nous sommes partis le 3 Février de Shelter bay pour Linton bay 30 milles à l’est. Première navigation vent de face au moteur puis en zigzag. Et après mûre réflexion voici le trajet que nous avons prévu dorénavant : Îles San Blas – Carthagène Colombie (fin Février début Mars) – retour à Miami par les Caïmans (mi-fin Mars) et les Keys aux États-Unis (Avril).
Après ces huit derniers mois d’exil volontaire dont une bonne moitié contre les éléments, une dizaine de pays visités et le double d’îles ou de lieux merveilleux, voilà plus d’une occasion que nous nous posons la véritable question : « Avons-nous vraiment l’enthousiasme et l’énergie pour rallier la Patagonie » ?.. En quittant Panamá City, forts du sentiment de sérénité retrouvé Olivier et moi nous rendons à l’évidence : nous n’irons pas cette fois dans le Pacifique avec notre bien-aimé Takoumi …
Ces huit derniers mois nous ont apporté toute notre réflexion en plus d’une expérience incroyable, de découvertes, de mer et de rencontres passionnantes. Mais lorsque nous faisons le bilan des critères que nous imposent ce voyage, nous nous rendons bien compte que la balance ne penche plus en faveur de la grande et difficile route du Pacifique Sud.
La saison humide et hivernale se sont imposées, les orages grondent malgré l’absence de vent et un courant contrarie la moitié du chemin. La fatigue s’est également installée à bord de Takoumi et de son équipage dont la motivation s’estompe face à la réalité de la distance qu’il nous reste à parcourir … la même que nous venons d’achever au bout de deux années …
Alors nos cœurs sont assez lourds et ont longtemps hésité à prendre cette décision mais elle est sans regrets. Nous savons que s’entêter à braver les éléments en se voilant la face quant à ses propres envies mène trop souvent à la catastrophe … le voyage de trop, celui qui incite à abandonner le navire précipitamment, sans regarder en arrière. Non, nous aimons trop naviguer pour nous entêter … Le plus important est de prendre du plaisir et de profiter … Et nous avons pleinement profité de ce beau voyage. Il est temps pour nous de changer alors que notre plaisir de naviguer est toujours intact.
Les idées claires et décision prise, une fois rentrés à Shelter Bay Marina, il ne nous reste plus qu’à organiser la mise à terre de Takoumi, une fois de plus immobilisé par la saison cyclonique en Caraïbe. Il nous attendra sagement calé, équipé d’un déshumidificateur pour les 5 prochains mois de pluies torrentielles. Pour notre part, nous prenons nos billets, bouclons nos valises et faisons nos adieux à nos nouveaux amis que nous espérons retrouver dès Octobre pour une rapide visite, et en Décembre pour un dernier appareillage.
À ce jour, nous sommes rentrés en France – encore – et repartirons finir notre voyage la saison prochaine – encore – pour une ultime destination que nous n’avons toujours pas choisie – encore …
Mais en vue d’emprunter d’autres chemins, en partie terrestres sans doute, et à terme de retrouver un pied à terre et de nouveaux projets, autant personnels que professionnels. Voilà, c’est fini …tout au moins … jusqu’au prochain périple qu’il nous appartiendra d’imaginer !
Au terme de cette croisière insolite à bord de Callipyge, nous nous installons au cœur de Panamá City dans l’appartement d’Ariel.
Très confortables mais exténués, plutôt sales et vidés de toute énergie touristique, nous nous y terrons 24 heures, juste pour profiter des douches, d’Internet et … dormir tout notre soûl avant de descendre découvrir le Casco Viejo, le vieux quartier rénové et incontournable de cette ville aux multiples facettes.
Nous n’allons pas plus loin que le coin de la rue pour commencer, au restaurant Casablanca qui propose un filet de bœuf aux champignons : il nous paraît prescrit dans notre état de fatigue physique, bien que notre moral soit au plus haut !
Nous ne sommes pas dépaysés très longtemps lorsque nous voyons tout l’équipage des catamarans rencontrés sur le lac Gatún débarquer sur la place ! Heureux de nos retrouvailles imprévues, nous formons une grande et belle tablée et passons une soirée festive en leur compagnie, nous remémorant l’épopée.
Enfin requinqués nous explorons le Casco Viejo le jour suivant, à la lumière du jour et admirons ses églises, ses ruelles, ses places arborées, ses cafés branchés, ses vues imprenables sur l’océan et sa magnifique Ambassade de France devant laquelle nous posons – pour notre cousine Marie qui connait bien cet endroit !
Panamá City est une vraie ville comme je les aime, moderne et antique au bord de l’océan, nous prenons vite nos marques en la découvrant en métro et à pied et en visitant tous les bars panoramiques de la vieille ville.
Les commerces de l’avenida central grouillent de magasins, souvent tenus par des chinois, de quelques grands supermarchés et de vendeurs de légumes assis près de ceux qui distribuent les tickets de la prochaine loterie dont les Panaméens raffolent.
L’avenida de Espana est parsemée de petits bouis-bouis et terrasses avant de rejoindre les luxueuses galeries commerciales du centre de la nouvelle ville, haute en néons colorés et en gratte-ciel imbriqués.
La ballade du bord de mer longe toutes sortes de complexes sportifs où les jeunes s’entraînent – au lieu de traîner – à la danse, aux majorettes, au foot ou au volley. Des vendeurs ambulants de jus de fruits frais les abreuvent tout du long, avant de rejoindre le marché aux poissons jonché d’un « hawker center » où déjeunent touristes et locaux mélangés.
J’admire les vieilles barques de pêcheurs qui sèchent encore de leur dernière sortie en mer.
Nous avions imaginé rentrer à Colón en retraversant le Canal à bord d’un autre bateau, mais, disons-le franchement, sur ce plan-là nous nous sommes encore dégonflés…et avons choisi de prolonger un peu de notre confort retrouvé par l’emprunt d’un moyen de transport le plus moderne qui soit : un « ouberre » dans le jargon Panaméen !
L’aventure du Canal de Panamá commence par un tableau de petites annonces … La procédure de passage exigeant 5 équipiers par bateau, nombreuses sont les propositions d’embarquement pour ce mythique passage.
Pour notre part, il s’agit de se lancer dans une opération d’apprentissage avant « notre » passage, histoire de maîtriser procédures et manœuvres. C’est aussi une manière de « faire le canal » dans le cas où nous renoncerions à y mener Takoumi.
Ainsi, à peine enregistré au bureau de la marina, nous nous précipitons sur les annonces pour en sélectionner une qui nous semble sympathique, elle est correctement rédigée, suffisamment informative, claire et travaillée pour nous assurer de la bonne volonté du jeune capitaine français dont la « bonne tête » transcende la photo d’identité qu’il a pris la peine d’y intégrer. Et puis surtout, c’est la première que nous voyons et nous nous arrêtons là.
Manuela vous en a déjà parlé dans l’épisode précédent. À l’heure d’aller postuler, un quiproquo nous amène à considérer une improbable embarcation d’acier fait maison au confort sommaire et à l’allure d’épave flottante. Au summum de l’excitation que nous suscite la « chasse à l’embarquement », cette découverte fait l’effet d’une douche froide et tempère sévèrement notre enthousiasme …
Dans le courant de l’après-midi, alors que nous soignons cette baisse de régime en terrasse du restaurant, nous hélons le capitaine recruteur reconnu sur photo pour enfin faire la connaissance d’Andréa, impétrant aventurier inspiré et inspirant à l’allure ravageuse et à la motivation contagieuse.
… Il faudra tout de même deux bonnes journées pour mettre fin à la méprise et apprendre que le bateau candidat au passage est celui d’en face … « Callipyge », fier quillard en aluminium de 36 pieds encombré mais décoré. Entre temps, nous aurons eu l’occasion de nous inquiéter plus d’une fois à l’évocation de son programme ambitieux compte tenu du bateau que nous avons aperçu. Nos réflexions personnelles sont d’ailleurs régulièrement ponctuées d’un laconique « il est gonflé quand même ! » … Et nous aussi !
Les quelques moments partagés avec Andréa avant l’embarquement (rencontres fortuites, déjeuners, apéritifs et dîners) sont mis à contribution pour faire connaissance avec cet ex-entrepreneur-paysagiste de l’île de Saint-Barthélémy. Son enthousiasme nous amène à penser qu’il parviendra à réaliser ses plans extraordinaires : il prévoit une traversée du Pacifique Panamá/Marquises en préambule à une année de dérive solitaire pris par les glaces de l’Antartique … Enfin, solitaire par défaut car de son propre aveu, il ne serait pas contre embarquer une compagne assoiffée d’Aventure … Soyons optimistes, si une relation survit à une première année en huis clos dans les conditions épouvantables des glaces australes, aucun doute n’est possible … c’est « la bonne » 😉
Toujours est-il que notre route commune avec Andréa débute par l’embarquement pour le passage du canal et la découverte de l’improbable équipage qu’il est parvenu à réunir en plus de vos serviteurs :
* Glen, notre doyen, marin professionnel américain, a le calme, la sagesse et la pertinence cultivés par une grande expérience de la mer. Il fera aussi preuve d’excellentes aptitudes à la sophrologie car Callipyge n’a vraiment rien à voir avec les yachts et maxi-yachts sur lesquels il a plutôt l’habitude d’officier … Nous découvrirons également avec amusement que nous avons une histoire commune : Alors que nous étions à Fort Pierce (ponton D) ce printemps, une copine de ponton insistait (lourdement) pour nous faire rencontrer un capitaine expérimenté (ponton E) ayant traversé le Canal de Panamá à plusieurs reprises … Alors que nous avions échappés à l’entrevue, c’est finalement sur le Canal, à bord de Callipyge que nous rencontrons Glen.
* Richard, dit « Rich », modèle photo par défaut, voyageur et aventurier par nature. Il a traîné sa frimousse de « Brad Pitt » de Tokyo à Cape Town. S’il aime bien la vie trépidante de Los Angeles, il apprécie bien plus les grands espaces naturels et la montagne où il pratique l’escalade. D’ailleurs, il n’est pas venu en bateau, il devait participer au convoyage du nouveau (mais pas neuf) catamaran du père d’un ami, mais comme on n’a pas toujours de la chance, il participe surtout à sa remise en état ! Co-équipier de dernière minute « parce qu’il en avait envie », il aura son heure de gloire lors de la « mission pizza ».
* Notre benjamine vénézuélienne, « Princessa » Angélica, « Cendrillon » du restaurant et pourtant titulaire d’un diplôme d’infirmière, profite de quelques jours de congés pour vivre le Canal comme une promenade exceptionnelle. Si je ne peux encore m’empêcher de voir Angelica au travers d’un œil paternaliste, Princessa me fera pleurer de rire à plus d’une occasion et Cendrillon m’inspirera du respect … si ce n’est pour les réalisations, au moins pour l’engagement. Pour ne rien gâcher, Angelica est aussi avenante que très bon public, ce qui nous sauvera la mise à tous quand nous nous apercevrons que le pilote du Canal se révélera être un bavard impénitent et infatigable.
Et c’est donc après un copieux déjeuner, en début d’un très bel après midi que l’hétéroclite équipage de Callipyge appareille pour l’Aventure du Canal ! La traversée du port Cristobal nous prend une bonne heure pour arriver aux « flats », zone de mouillage d’attente et de récupération de l’advisor (c’est le nom des pilotes officiels du Canal réservés aux embarcations de plaisances), que nous atteignons vers 14h30.
Notre jeune capitaine est un peu tendu au démarrage de cette importante étape, c’est compréhensible et dans l’excitation du moment nous lui pardonnons sans peine une arrivée « un peu » anticipée pour un rendez-vous prévu à 16h … derechef reporté à 16h30/17h par les officiels du Canal contactés par radio.
Nous passons donc l’après-midi à nous baigner, lézarder et bavarder, bières fraîches en main, sur le pont, dans le cockpit ou dans le carré. Les choses et les équipiers trouvent peu à peu leurs places et leurs marques. Nous commentons le programme qui s’offre à nous : premières écluses montantes en fin d’après-midi, nuit sur le lac Gatùn, réveil aux aurores pour parcourir le Canal et franchir les ultimes écluses descendantes menant à l’océan Pacifique … Une belle aventure bien organisée, bien planifiée et, normalement, sans surprises.
Un peu avant 16h, nous sommes rejoints au mouillage par un autre voilier avec lequel nous passerons les écluses de conserve. Il est plus grand que nous, propre comme un sou neuf, apparement bien protégé et sans doute bien équipé. Comme nous ne sommes pas jaloux, nous accueillons bien volontiers à notre bord l’équipier qui prétexte une baignade pour venir boire une petite bière avec nous 😉 Le « party boat » c’est bien le notre !
Au terme de l’attente, un gentil advisor rejoint l’équipage à … 17h30 … je suis tenté de pardonner les 1h30 d’attente bonus, mais dans ce cas, Andréa aurait autant aimé qu’il s’abstienne de nous faire forcer l’allure au moteur pour compenser un retard irrattrapable … sans compter que c’est à cette occasion qu’il nous confie ses doutes et inquiétudes concernant cette vaillante mécanique.
Toujours est-il que, grande allure ou non, nous n’atteignons la première écluse qu’à la tombée de la nuit. Ente temps, tous ce sont préparés au labeur, et j’ai même l’immense surprise de voir Cendrillon surgir du carré, motivée et équipée de chaussures de pont et de gants de voile … moi qui imaginais Princessa s’étant contentée d’un maillot de bain et d’une paire de lunettes de soleil … ça m’apprendra à juger trop vite …
Ordres pris, nous passerons les écluses à couple du grand voilier qui se chargera de la totalité des manœuvres. Si l’opération d’accouplement n’avait pas été aussi chaotique et désordonnée, nous en serions un peu chagrinés, mais au résultat des ordres contradictoires qui émanent des advisors à ce moment là, nous en prenons volontiers notre parti. La manœuvre est si désordonnée que je me souviens même répondre vertement à un ordre impossible qui, même après avoir été réitéré 3 fois, demeure impossible. Seule l’attention de Glen et son intervention salvatrice me permettent de tendre la garde dont j’ai la responsabilité.
Mais la nuit n’est pas la seule à nous envelopper d’un voile menaçant et les nuages s’amoncellent à la verticale de Callipyge pour finalement nous tomber sur la tête à l’entrée de l’ouvrage d’art dans lequel nous pénétrons en compagnie d’un gros porte conteneurs nous précédant, accueillis par des trombes d’eau. C’est ainsi que nous traversons cette première épreuve, trempés jusqu’aux os, spectateurs du calvaire des deux équipiers italiens en charge des amarres de pointe qui ne comprennent rien aux invectives hispanophones et toujours contradictoires des deux advisors traîtreusement retranchés bien à l’abri du luxueux voilier.
Au troisième et dernier sas, les italiens ont pris le coup demain et le quatrième aurait été parfait s’il y en avait eu un. Mais à cette heure tardive, le calme est revenu sur le lac Gatùn où nous nous déhalons paresseusement pour rejoindre les énormes bouées dédiées au mouillage nocturne. Après une courte soirée, dédiée à la pêche de l’unique poisson qui mordra à l’hameçon et au dîner, nous ne tardons pas à nous coucher, ni vraiment secs, ni vraiment confortables car la chaleur moite est revenue avant même le bateau amarré.
Le lendemain matin, dès potron-minet, l’équipage est debout, sur le pont équipé et surmotivé pour cette longue journée qui doit nous mener à l’océan Pacifique. L’excitation n’est pas redescendue d’un poil quand la pilotine (bateau des pilotes) daigne pointer son étrave avec quelques heures de retard (encore) … Et c’est tout à notre joie que nous l’observons s’approcher lentement, déposer le premier advisor sur le pont de notre voisin et … repartir sans même un mot, un geste ou quoi que ce soit à notre attention … et surtout en ne nous laissant pas notre advisor.
Déconcertés, nous attendons un signe du voilier voisin nous invitant à le suivre, mais lui aussi appareille dans l’indifférence et quitte le mouillage en nous laissant à notre solitaire perplexité.
Les minutes, puis les dizaines de minutes, s’égrènent dans le vide du lac Gatùn sans qu’aucun signe, officiel ou divin, ne vienne confirmer notre existence ou infirmer notre évidente transparence. Les appels radio répétés d’Andréa restent sans réponse, que ce soit aux officiels, aux cargos qui commencent à peupler le Canal ou même aux oiseaux … Il a tout essayé.
C’est grâce au téléphone de Glen et son forfait tout-terrain que nous avons une explication … À peine l’agent contacté, nous avons confirmation que nous ne sommes pas oubliés, mais « juste » reportés pour peine de mauvaise organisation … Ils n’ont pas d’advisor disponible aujourd’hui ! Je soupçonne qu’au moment où Andrea raccroche en concluant par un jovial « muchas gracias », tout le monde aimerait lui arracher le téléphone et faire passer un mauvais quart d’heure à l’oiseau de mauvaise augure.
Pour autant, les mines réjouies ont laissé place aux masques chagrins à l’aune de la perspective de rester prisonnier 24 heures durant. À ce moment précis où l’ambiance funambule menace de basculer du comique au tragique, j’entrevois le front soucieux de Glen et c’est la mimique catastrophée de « Princessa » qui me départ de ma propre expression résignée pour me rendre le sourire. Quelques dizaines de minutes plus tard, tous optent pour une bonne humeur teintée d’apathie …
C’est donc dans une ambiance bonne enfant que nous observons un crocodile paresseusement sillonner le lac … juste avant que, à nouveau, le ciel ne nous tombe sur la tête sous la forme d’un violent orage qu’un gros grain marin n’aurait pas renié. Ce dernier avançant sur nous tout aussi lentement que le crocodile, les plus téméraires d’entre nous en profitent pour sortir les savons et se préparer à bénéficier d’une « douche tahitienne » un peu plus agitée et tonique qu’à l’ordinaire.
L’ondée passée, tous reprennent le cours d’activités diverses. Qui la pêche (sans succès), qui des ballades en paddle (qui prendra son indépendance plus tard dans la journée) ou encore de plus ou moins longues explorations dans l’annexe instable et franchement pas rassurante (je rappelle ici que nous co-existons avec un croco).
Je retiens un autre moment drôlissime au sujet du déjeuner. Alors que le menu du jour se compose de poulet rôti froid en « buffet » self-service, Notre « Princessa », sans doute déterminée à faire payer notre capitaine sa propre frustration, s’exprime d’un ton si ferme qu’il n’admet ni retard ni objection : « I want some chicken » ! Et c’est dans la franche hilarité générale qu’elle ira se servir elle même 😉
En fin d’après-midi, jamais à court de velléités exploratoires, Rich lance l’impossible mission pizza et entraîne Angélica dans sa quête éperdue de junk food et de bières : Ils ont pour plan audacieux de rejoindre la route qui borde le lac, d’y faire du stop jusqu’au centre commercial et de revenir en taxi. « L’homme qui vit torse nu » en profite pour enfiler un t-shirt quand « Princessa » s’apprête d’une tenue que je soupçonne d’être mieux appropriée à une sortie en boite qu’à ce type d’expédition.
Toujours est-il que l’improbable duo revient bredouille une heure plus tard mais avec un nouveau plan … C’est qu’ils sont tenaces nos Aventuriers ! Ils rejoindront cette fois le « visitor center » de l’écluse pour y retrouver un taxi qui les emmènera et les ramènera … Enfin presque, puisqu’au retour, la route est fermée et qu’ils traverserons, de nuit et à l’estime, la jungle tropicale humide, pataugeant les tongs dans la boue, les bras chargés de leur butin, sursautants sans doute aux nombreux bruits de l’exceptionnelle faune environnante dont la plus terrifiante espèce est sans nul doute les fameuses grenouilles venimeuses.
Et dire que pendant tout ce temps, nous les attendons confortablement installés à bord de deux catamarans arrivés entre-temps et dont les sympathiques équipages de convoyeurs en route pour Tahiti nous ont recueillis à l’heure du « Ti-Punch » …
Quelques heures plus tard, rassasiés de pizzas, abreuvés de rhum, de bières et épuisés par l’inaction de la journée, nous dormons tous un peu mieux que la veille.
Au matin, à l’heure de la pilotine, c’est-à-dire plus tard que prévu, une légère angoisse étreint les uns et les autres … Mais nous accueillons avec bonheur la venue à bord de « notre » advisor, signe tangible de notre libération.
Ce dernier prend la peine de s’excuser et d’expliquer que l’organisation du Canal perd en efficacité depuis quelques temps. Il aurait été prévenu la nuit même où nous l’attendions … Pour le bien que cela nous fait !
Nous voilà donc repartis sur ce long chemin. L’advisor est vraiment très sympathique et se révèle inépuisable d’anecdotes historiques, de faits techniques et même de quizz-Canal ! 35 ans de Canal, cela laisse des souvenirs ! Plus guide touristique que pilote, nous n’éprouverons aucun besoin d’aller visiter le musée du Canal après ça. Heureusement, nous avons Angélica avec nous et elle tient à la perfection son rôle d’interlocutrice principale alors que les uns et les autres se relaient en fonction du besoin d’alternance soleil/ombre/cigarette. Le bonhomme est vraiment sympathique et serein, quand Angélica lui raconte l’expédition de la veille, il se contente de nous regarder avec un air attristé « elle ne devrait pas me dire ça, c’est interdit » …
Seul Glen, en mode sophrologie reste à l’intérieur. Nous nous demandons bien comment il fait, d’autant qu’il trouve encore le courage d’une ultime séance vaisselle avant les écluses, peut-être due à la culpabilité d’avoir renversé le plat de fajitas. Il en profite pour méditer sur le comment du pourquoi il est envisageable sur ce bateau d’empiler des assiettes sales au dessus de la pile d’assiettes propres.
À l’approche des écluses, nous aurons la bonne surprise de les passer seuls, c’est-à-dire sans bateau à couple. La manœuvre est donc soigneusement préparée avec les conseils de l’advisor qui se révèle être effectivement posé, expérimenté et respecté par ses collègues. Nous en tenons un bon là … dommage de ne pas pouvoir réclamer « son » advisor à chacun de ses passages.
Nous enchaînons les sas sans heurts et sans douleur. Sauf pour Manuela qui reçoit sur sa tête l’une des « bolas » envoyées par les éclusiers, heureusement sans conséquence. Les « bolas » sont des poids aux extrémités de cordes lancées par les éclusiers sur les bateaux pour récupérer les amarres. Pour ma part, j’en attrape une à la volée, mais c’est à se demander ce que certains visent vraiment.
Par contre, alors que le premier sas et franchi en un temps record nous permettant de dépasser les deux copains-catamarans d’hier soir, les deux suivants se font en compagnie d’un géant vert qui ne dispose que d’environ 60 centimètres de marge sur chacun de ses côtés. Ses manœuvres sont donc terriblement lentes et le temps s’allonge, s’allonge …
Jusqu’au moment magique où la dernière écluse ouvre ses portes sur le Pacifique, moment d’émotion immédiatement salué par une petite bière fraîche sous le « Pont des Amériques » …
Quelques milles plus loin, Manuela et moi débarquons avec les amarres et parre-battages de location pour aller récupérer les clés de l’appartement que nous louons pour quelques jours à Panamá City. De l’aveu d’Ariel, notre loueur, nous aurons meilleure mine (plus fraîche) quelque jours plus tard lors de la procédure de départ.
Pour le moment, nous nous contentons d’une douche rapide avant d’aller retrouver notre équipage à la Marina. Comme de bien entendu, nous ne les retrouverons pas à l’endroit prévu et sans le concours d’Ariel dans le rôle du messager, nous les chercherions encore alors qu’ils dînent à quelques dizaines de mètres de là.
Dernier événement notable avant de quitter nos amis, Manuela rejoindra callipyge en annexe, pour récupérer certains effets personnels, sous un magnifique orage … Ajoutez à cela la difficulté de trouver un taxi à cette heure et c’en est trop pour nos épaules fatiguées, la vieille garde prend alors congé et laisse les plus jeunes seuls partir s’encanailler pour un « dernier » verre jusque tard dans la nuit.
Alors nous arrivons à la conclusion de ce journal de traversée du canal. Bien qu’il reste encore une poignée d’anecdotes à raconter à la veillée, l’essentiel est partagé et comme il est de coutume « il est des choses sur le bateau qui restent sur le bateau » …
Pour beaucoup de monde, 24 heures d’immobilité à 6 sur un 36 pieds présagent de moments difficiles … Et bien non, quelle qu’ait été la pénibilité de la situation et de l’environnement, l’interminable attente transformera notre équipage heureusement dépourvu de vilain coucheur en un groupe plutôt bien soudé face à l’adversité. Modifiant nos enthousiasmes personnels en cohésion et en amitié. C’est sans doute cela un véritable équipage.
Pour notre part à Manuela et à moi, qui naviguons presque exclusivement seuls, c’est un peu une découverte, et nous apprécions beaucoup finalement … Nous Vous apprécions beaucoup !.. Merci à Andréa, Glen, Rich et Angélica d’avoir partagé cette extraordinaire Aventure du Canal avec nous.
C’est au moteur que nous rejoignons l’eau de Colón peuplée de crocodiles Panaméens et de tankers de toute la planète aux effluves industrielles… Malgré quelques minutes de vent favorable à mi-chemin, nous n’avons pas le temps de dire ouf que celui-ci se calme au profit d’épais nuages semblent-ils omniprésents au Panamá…
L’entrée du Canal de Panamá à l’écoute du Cristobal Signal Station à la VHF est alors une étape majestueuse de notre voyage : si grande que la photo ne peut la rendre .
Un petit mille plus loin à l’ouest nous entrons dans le chenal étroit de Shelter Bay Marina, que nous découvrons comme la première civilisation : le ponton grouille au bout duquel un préau abrite tables de pique-nique et un grand feu de cheminée, l’eau de la piscine miroite à côté d’une terrasse généreuse près des « baños », presque dignes de l’hôtel avoisinant…Première douche chaude depuis longtemps suivie de travers de porc à volonté sur la terrasse surplombant les voiliers.
Nous nous mettons tout de suite en quête d’un bateau qui prévoit de passer le Canal de Panamá et qui recherche des « Line handlers ». En effet, chaque bateau doit embarquer un minimum de 4 équipiers pour gérer les écoutes – les « lines » -utiles au passage des nombreuses écluses du Canal. Aussi l’embauche d’équipiers temporaires est un business permanent ici, et le tableau d’affichage de la Marina est une mosaïque d’annonciateurs de traversée.
Nous allons frapper la coque d’un tout petit voilier d’allure improbable, inquiétant même, en souhaitant plus que tout organiser cette prochaine aventure. Engagés, nous apprendrons que trois jours plus tard que ce bateau n’était, heureusement, que l’intermédiaire point de contact d’un bateau un peu plus grand …mieux destiné à rejoindre le Pacifique ! C’est comme ça que nous rencontrons Andréa, son propriétaire parti il y a deux mois de St Barth son île natale . C’est un garçon fougueux et inspiré avec lequel nous partagerons un bout de voyage que nous vous raconterons…
Pour l’heure, nous profitons des quelques jours avant la traversée du canal pour visiter Colón. Prévenus que cette ville est dangereuse – pour de vrai – nous demandons au guide « taxi » Stanley de nous y emmener. Le spectacle de maisons anciennes qui s’écroulent me laisse sans voix, accompagné d’odeurs nauséabondes persistantes aux abords du marché noir que nous n’aurons même pas le droit d’arpenter…Stanley un peu inquiet lui-même, préfère nous enfermer dans sa voiture le temps d’y faire une course que nous lui avons commandée…
L’autre visage de la ville de Colón est la Free Zone où touristes et marchands du monde s’interpellent dans la cacophonie et l’anarchie. C’est une zone grise gigantesque encerclée de grands murs et de barrières infranchissables au milieu de la ville.
La Marina en est assez éloignée, au milieu de la jungle et d’anciens quartiers militaires américains aujourd’hui abandonnés, le seul moyen d’en échapper en dehors de quelques heures de pointe est d’emprunter un ferry pour traverser la baie de Colón. Notre première nuit sans orage est un bonheur retrouvé et j’apprécie de pouvoir boire mon café seule et de me baigner au lever du jour dans la piscine de l’hôtel. Entre deux averses, la chaleur et l’humidité s’installent chaque jour de manière étouffante, seules quelques promenades dans la jungle nous offrent un peu de fraîcheur et de dépaysement, à la rencontre des singes hurleurs et des moustiques dévorants !
La vie de Shelter Bay nous comble tant nous rencontrons de personnes sympathiques et diverses, dont Eric un français qui travaille sur la construction d’un nouveau pont impressionnant qui reliera un jour …les deux bords de la baie…Il est généreux et passionné et nous faisons plus d’une fois la fête ensemble ou en compagnie d’autres navigateurs de passage. L’équipage entier américano-mexicain de « Uncruise Adventures » nous fait partager un peu de leur quotidien d’aventures en Alaska et en Amérique centrale…Et Rodrigo, un skipper chilien nous rejoint pour échanger sur les mœurs de son grand pays que nous comptons visiter bientôt. Des amitiés se forment et nous garderons un joli souvenir de tous ces moments notamment le soir de l’anniversaire d’Olivier qu’il n’est pas prêt d’oublier.
Jusque la veille de notre départ, quand Eric nous fait l’ultime surprise de nous rejoindre sur Takoumi pour déguster le verre de l’amitié avec une bouteille de vieux « Ron » Abuelo, l’excellent rhum de Panamá. Tout cela dans la spontanéité et pour le plaisir de partager, la vie chaleureuse de Shelter Bay nous à comblés d’amitiés nouvelles que j’espère préserver.
Fortement conseillée par de nombreux navigateurs et quelques amis, nous avions initialement choisi d’atterrir à Panamarina, une petite Marina 28 milles à l’est de l’entrée du Canal de Panamá et de la ville de Colón. Mais faute de place, ou de bonne volonté d’après mon expérience, nous avons fini par poser l’ancre à Baya Linton entre le village et une autre Marina à Puerto Linton.
C’est la « campagne » version forêt tropicale humide et nous retrouvons avec plaisir des paysages qui nous rappellent la Guadeloupe – les toucans et les singes hurleurs en plus ! Nous passerons une semaine agréable dans cette région de la province de Colón, nichée entre îlots, mangrove et sommets éloignée de tout.
Il s’agit tout d’abord de rentrer officiellement au Panama, procédure aléatoire si l’on en croît divers plaisanciers. L’officiel solitaire des autorités maritimes du préfabriqué de Puerto Linton nous demande – d’entrée – de payer 180 dollars « cash » de « Permiso de navegación » annuel pour Takoumi. Seulement voilà : nous n’avons que 130 dollars en poche et la première banque est à plus d’une heure de route – en bus coloré local qui ne passe plus cet après-midi…Qu’à cela ne tienne, l’officiel demande au gardien de sécurité de nous emmener – pour 20 dollars…- au village le plus proche, Portobello retirer de l’argent à la supérette chinoise. En fait, toutes les supérettes sont tenues par des chinois au Panama et ceux-ci profitent de l’absence de banques pour nous sur-facturer le dollar sur nos visas avec une commission de 12% ! Pour le sourire et l’amabilité ce doit être plus cher…
Évidemment, concernant l’immigration que nous devons saluer dans les 72h, nous devrons revenir un autre jour à Portobello : en effet, le bureau qui s’y trouve couplé à l’office du tourisme est fermé et n’ouvre que le lendemain – ou le surlendemain, l’officiel nous prévient que c’est parfois…aléatoire!
De retour à Puerto Linton nous découvrons une Marina ouverte mais clairement en chantier. Il y a deux pontons assez fréquentés, une station service, une grue toute neuve et heureusement pour nous, The bitter end » un bar à flot (et non bar à flotte) qui vient d’ouvrir le mois dernier. Malheureusement cet endroit convivial tenu par un italien et une péruvienne américaine d’origine philippine je crois, fermera avant notre départ pour mauvaise relation avec le manager de la Marina…Nous profitons de notre situation géographique assez centrale dans la baie pour visiter les deux autres endroits intéressants du coin : Panamarina et le village de Puerto Lindo.
Que dire de Panamarina : eh bien, ce trou dans la mangrove développé par un couple Français est bien protégé mais difficile d’accès. Le restaurant est un peu cher mais agréable et les grillades excellentes. Le chantier paraît être le délire enfantin de son gérant qui propose de sortir les bateaux avec ce qui ressemble à un tracteur trafiqué…Sa compagne gère le « parc » de bateaux à la tête du client selon l’humeur et ne m’a pas inspirée totale confiance, d’ailleurs nous n’avons jamais réussi à convenir d’une place durant et après notre séjour à Linton. Ce qui n’était je l’avoue pas pour me déplaire parce que l’endroit est protégé certes, mais très humide et accueille plus de moustiques que d’humains ! Pour résumer, expérience en demi-teinte mais inachevée puisque nous n’y sommes allés qu’une paire de fois en touristes pour y déjeuner et laver notre linge.
C’est finalement le village de Linton qui m’a le plus séduite. Facile d’accès en annexe sur le petit ponton du bar restaurant de Hans et de sa famille. C’est ici que nous avons pu remplir nos bonbonnes de gaz et rencontré nos deux bateaux voisins du mouillage : un américain, un nouveau-zélandais et un Sud africain avec qui nous passions pas mal de temps à partager nos expériences et refaire le monde. Rencontres insolites et qui me passionnent : l’un navigue en solitaire depuis l’Angleterre, l’autre voyage à bord et vit « sur la route » depuis trois ans, le troisième embarque des équipiers. Nous sympathisons également avec Marteen, le jeune fils de Hans qui nous parle de sa vie à Linton, ses études et ses aspirations. Plus loin sur le rivage nous rencontrons un autre jeune homme aventurier, Thomas , au club de plongée café wifi tenu par des turques francophones avares en amabilités. Il a acheté une moto à New York et à déjà parcouru le chemin jusqu’au Panamá. Il souhaite visiter l’Amérique du Sud comme nous, mais sa prochaine étape est compliquée parce qu’il n’y a pas de route entre la Colombie et le Panamá…Lorsque nous l’avons quitté il envisageait de vendre sa moto américaine pour acquérir un triporteur colombien. Nous avons hâte de découvrir la suite de son périple!
En parallèle de notre vie sociale intense nous faisons de belles ballades en bus local pour rejoindre Portobello et en annexe pour apercevoir les singes de l’île Linton, traverser un long tunnel de mangrove et nous baigner sur les coraux de l’îlot privé en face du bateau.
Chaque nuit nous essuyons les orages, même au mouillage, l’un particulièrement violent qui semble avoir foudroyé trois voiliers de notre voisinage. Nous discutons beaucoup de la suite de notre voyage, le temps se détériorant nettement en ce début de saison humide.
Que faire ? : visiter l’archipel phare de la région, les San Blas à l’est ou passer le Canal pour rejoindre le Pacifique ? Nous sommes indécis à ce stade et un peu démotivés par le mauvais temps pour visiter des îles quand bien même magnifiques…nous décidons plutôt de rejoindre « la ville » de Colón en face de laquelle nous savons qu’une Marina accueille les bateaux qui se préparent à traverser le Canal de Panamá : en route pour Shelter Bay !
Pour notre traversée de la zone la plus inaccueillante de la mer des Caraïbes, de « Grand Cayman » au Panama, nous avons été pour le moins mal inspirés puisque nous nous sommes fourvoyés au sujet de la route à suivre; de la durée de trajet; de la fenêtre météo et des prévisions … en quelques mots, nous nous sommes « bien loupé comme il ne fallait pas … là où il ne fallait pas ».
Il devait s’agir d’une traversée en père peinard … 5 jours en ligne droite au travers d’un vent absent et de pluies éparses le dernier jour … Il nous en coûtera 7 jours de vent de près dans un champ de montagnes liquides copieusement arrosées par de systématiques orages nocturnes.
Bon, j’en rajoute à peine. Nous prenons les deux jours de retard d’entrée, et si ce n’est une « légère » correction de route pointant sur la Jamaïque, ces deux journées perdues pour « reprendre de l’Est » se font dans de bonnes conditions.
Au second soir, nous prenons enfin notre route nouvellement définie pour éviter les courants contraires et les hauts fonds des côtes du Nicaragua.
Nous déplorons quand même la casse du chariot d’écoute de génois, suppléé par une sérieuse garcette qui plusieurs semaines après est toujours en usage … c’est une assez mauvaise nouvelle pour nous car ce type d’accastillage (qui plus est, date de 37 ans) est aussi courant dans ces contrées qu’un « singe hurleur » en haut de l’Empire State Building …tout le monde l’a vu à la télévision, personne en vrai 😉
Cette seconde nuit, alors que nous nous éloignons enfin de la Jamaïque, marque le début de notre mauvaise période météorologique. Forcément, avec 36 heures de retard, la fragile fenêtre météo se referme sur nous. Donc, à l’heure où le premier prend son quart et l’autre se repose du sommeil du juste, le radar annonce un grain … si étendu, avec un diamètre de plus de 6 miles nautiques en expansion, qu’il n’est pas question de l’éviter.
Comme un haut fond nous refuse la fuite vers l’Ouest (à 10 miles, une grosse heure dans ces conditions), nous choisissons de rentrer les voiles et d’affronter le mauvais temps au moteur. À ce moment là, l’orage nous « tombe dessus » avec moult éclairs, cataractes ininterrompues d’eau et grosses rafales … autrement dit … nous avons deux minutes de retard pour les manœuvres … comme des bleus … comme si nous n’avions rien appris de deux ans de navigation … honteusement en retard.
La bataille pour rentrer les voiles est donc sérieuse, la pluie déchaîne sur nos têtes des hectolitres d’eau et le vent fort nous oblige pour la première fois de notre voyage à utiliser un winch pour enrouler le génois.
Dans la bagarre, Eole, sans doute contrarié de nos efforts, emporte la bouée de survie et sa lampe à retournement. Je la regarde s’éloigner sous l’orage nocturne sans autre pensée que de constater le bon fonctionnement de l’ensemble.
À ce moment, Manuela constate 12 nœuds de vitesse au gps pour 35 nœuds de vent arrière … (je fais le calcul pour vous … 47 nœuds de vent vrai … sans commentaire.)
Heureusement, nos manœuvres s’achèvent vite, sans autres pertes, et quelques minutes plus tard, nous faisons route au moteur … trempés et fatigués … mais saufs.
… Nous ne sortirons de l’orage que 6 heures plus tard …
Et c’est ainsi que les 5 jours suivants s’enchaînent dans l’inconfort, rien ne sèche vraiment à bord et l’humidité se fait sentir, (très) grosses vagues de travers qui s’invitent sur le pont le jour, partie de cache cache avec les orages la nuit. Nous avons quand même plus de réussite et ne nous faisons plus prendre par surprise.
C’est un jeu éreintant qui, si l’on souhaite vraiment l’emporter, nous impose une veille constante et de perpétuels ajustements d’allure et réglages de voiles, mais ainsi, nous ne vivons pas d’autres « gros événement » avant l’ultime nuit de navigation.
Le problème de l’atterrissage après une semaine de navigation est que nous ne disposons pas vraiment comme bon nous semble de notre heure d’arrivée. Il est évidemment difficile d’accélérer quand l’objectif a été, 5 jours durant, de parcourir le chemin aussi vite que possible … mais aussi (c’est psychologiquement subtil) de ralentir …
Nous arrivons donc à quelques heures des côtes Panaméennes à la tombée de la nuit. Comme les orages sont encore (et toujours) de la partie. Nous passons la nuit au moteur à faire des ronds dans l’eau pour éviter les zones de pluie … comme les autres nuits en somme … mais sans avancer vers notre but.
Au lever du jour, les orages grondent toujours, et partout bien que plus faiblement, quand il nous semble apercevoir une trouée dont nous pouvons profiter pour nous précipiter vers la côte, ses eaux calmes et ses abris. C’est au cours de ce dernier effort, à l’heure du quart de Manuela que le dernier orage se reforme sur nous et malmène notre Takoumi une dernière fois avant d’atteindre notre but : le Panama, nous y sommes enfin !