Je ne sais plus comment j’avais décrit la Marina Linton à notre dernier passage, mais, pour en dresser un portrait rapide, disons, 3 pontons de bonne facture devant un terre-plein avec un travel-lift flambant neuf et une station service minimaliste. D’horribles sanitaires prennent place dans un container qui fait écho à un mini-entrepôt d’accastillage. Un autre container tient lieu de bureau « provisoire qui dure » et un bâtiment en construction perpétuelle servira d’accueil … un jour.
En ce moment, le bâtiment inachevé est investi par les plaisanciers qui ont installés des bancs en plastique dans ses étages pour profiter le plus confortablement possible de l’inefficace connexion internet.
En dehors de ça et du petit monde grouillant qui lui donne vie, il n’y a rien d’autre … même le sympathique bar flottant a passé la main à la désolation après avoir épuisé 3 entrepreneurs ces 6 derniers mois.
Autant dire que si nous avions êtes dépressifs, il en aurait été fini de notre réserve de kleenex. Heureusement, nous ne nous chauffons pas de ce bois là et occupons agréablement nos 15 jours de purgatoire par de multiples promenades et découvertes.
Au premier titre de notre plan anti-sinistrose : faire la fête. Notre bonne fortune ayant programmé une soirée à Panamarina le lendemain de notre appontement, nous nous y rendons en compagnie de Pierrick que nous entraînons au fallacieux prétexte qu’il a une bonne annexe et nous une bonne lampe. Nous comprenons juste assez tard qu’il s’agit d’une soirée costumée pour éviter un accoutrement bariolé qui affuble les autres participants. Enfin … presque, Pierrick se déguisant in-extremis en improbable « Vahiné blonde » avec les moyens du bord mis à disposition par Nico. Toujours est-il que le groupe de musique est excellent pour l’un de ses premiers engagements et nous profitons de l’ambiance jusque tard dans la nuit.
Second axe de développement personnel, nous entreprenons de découvrir la culture locale au travers des danses rituelles qui animent cette période de carnaval et c’est Pierrick, accompagné de sa charmante amie colombienne Solangel, qui cette fois nous entraîne jusqu’à « Cacique », le village voisin.
Solangel est peintre sur chaussures, colombienne et installée à Panama City d’où elle diffuse ses œuvres uniques. (mot clé : «solangelsus»).
Ceci dit, commander un taxi pour une heure précise n’a rien d’évident ici, et à l’heure dite, ce dernier devait cuver un lac de bière assoupi quelque part, car nous ne l’avons pas vu venir … Pour résoudre notre souci de transport, nous entreprenons une incursion au centre du village de Puerto Lindo à la nuit tombée et y découvrons un monde ahurissant … Les rues en terre sont remplies des habitants du village dans un maelström de musique, de street food et de bière … Les familles rassemblées devant chez eux et des électrons libres allant de groupe en groupe. Une folie au sein de laquelle nous trouvons enfin un taxi (un cousin du premier, mais moins aviné) disposé à nous emmener à Cacique.
Cacique est un village important d’une région où l’influence africaine, nous l’apprenons à cette occasion, est particulièrement importante. De fait, l’ambiance, la musique et les danses nous transportent à des milliers de kilomètres d’ici, dans un lieu hors du temps que nous imaginions réservé aux villages du continent originel.
La « danse du diable » est anecdotique et déstructurée en début de soirée, mais laisse la place à l’expression populaire de la séduction au rythme syncopé des tam-tams ancestraux. Et des plus jeunes aux plus vieux, tout le monde participe aux chants et aux danses sous la tonnelle du village, bien que nous remarquons que si les jeunes hommes et jeunes femmes se prêtent volontiers au jeu rituel, ce sont bien les anciens qui mènent le bal et pour les plus alertes d’entre eux, les tam-tams.
Nous quittons finalement le village en milieu de soirée, alors que la fête traditionnelle va se poursuivre jusqu’au plus profond de la nuit et que les rues en terre ne sont encore recouvertes qu’à moitié par les cannettes vides.
Le troisième acte du plan de sauvegarde de notre équilibre demeure nos folles expéditions. Si dans un premier temps nous visitons les bras de mer de la mangrove environnante, nous allons bien vite un peu plus loin … et surtout plus haut.
À l’apogée de cette expédition, le phare Gustave Eiffel de la « Isla Grande », île balnéaire locale que nous prenons soin d’aborder un jour de semaine afin d’éviter la foule. Notre matinée, avant de trouver l’unique restaurant ouvert de l’île se compose donc d’un trajet en taxi, d’une traversée en Lancha (barque locale) et d’un trek pédestre jusqu’au plus haut point de l’île où trône le fameux phare dans son habit de rouille et de peinture écaillée.
À ce moment là, une folle poussée de témérité nous pousse à pénétrer l’enceinte du phare et à entreprendre l’ascension du fier mais branlant édifice. Cette action aventureuse est immédiatement récompensée par une vue magnifique et imprenable sur tout l’horizon dont nous profitons quelques instants avant que les mouvements du phare induits par les fluctuations du vent ne nous encouragent à redescendre illico-presto.
Pour le reste, le village de Isla Grande présente un peu d’intérêt par le fait qu’il est principalement touristique, et est donc un peu plus « urbanisé » que les villages du continent. Avec de nombreuses maisons prêtes à accueillir touristes et promeneurs. Et surtout, semble-t-il, enfin, un balbutiement de collecte de déchets.
Après un déjeuner sur l’ile, nous repartons pour le continent, non sans avoir immortalisé par une photo le ponton que nous trouvons fort emblématique du Panama.
Hormis toutes ces activités externes, les abords de la Marina ne manquent pas de nous pourvoir en occupations. Comme la partie de pêche où Manuela part seule en annexe et revient en ayant perdue sa ligne et ses crevettes-leurres magiques dans une manœuvre hasardeuse. Si effectivement les crevettes sont perdues corps et bien, nous retrouverons le fil de pêche deux jours plus tard dans l’hélice du moteur hors-bord qui tout d’un coup libéré marchera tout de suite mieux.
À l’occasion d’une lutte acharnée de votre serviteur avec nos infâmes batteries lourdes comme 4 ânes morts, Manuela, encore elle, lance l’activité « coconut » avec l’aide des deux diablotins des voisins. Ces derniers ne s’arrêteront pas à participer à l’ouverture des deux noix de coco de Manuela, mais irons en recueillir près d’une dizaine au grand dam de leurs mère, qui fera quand même bonne figure en encadrant deux jours durant ces deux enfants terribles dans ce qui restera connu comme « l’activité Coconut » ! Pas de panique, inutile de fermer vos volets, ces deux troublions ne reviendront pas de sitôt en Europe, leur parents ayant décidé de s’installer à Medellin en Colombie plutôt que de retrouver la Belgique flamande qui les a vus naître.
Une autre belle promenade nous mène également sur la isla Linton, territoire des singes que nous n’avions encore jamais osés aborder.
Le reste de nos activités est somme toute assez classique, bricolages inégalement efficaces, achat de légumes aux nombreux vendeurs ambulants et point d’orgues, la réalisation de notre panneau « Amel for Sale » qui aura la charge de prévenir les promeneurs de pontons floridiens que Takoumi est à vendre.
Nous avons aussi plaisir à discuter avec notre voisin « Alex » américain et propriétaire « par hasard » d’un magnifique outremer 55 ultralight dont nous le soupçonnons de préférer organiser les réparations plutôt que de réellement naviguer. Accompagné de Sergio, un jeune colombien ex-sous-marinier d’un calme et d’une sérénité désarmantes et véritable navigateur du navire, ils décident d’embarquer pour la Colombie autant de jeunes backpackers qu’il leur est possible. Nous les retrouverons plus tard aux San Blas et en Colombie.
Quand enfin, nous sommes prêts à partir pour les renommées îles San Blas, il ne nous restera finalement que quelques jours d’attente avant que les conditions de mer nous semblent suffisamment confortables pour affronter la remontée du vent et surtout des vagues jusqu’aux Îles San Blas.
Quand nous quittons enfin Shelter Bay (ou Shelter Pay, c’est selon), notre premier arrêt ne nous est pas inconnu car nous retournons à Puerto Lindo et Isla Linton. Là même où nous avions atterris à notre arrivée des Îles Caïmans.
Non pas que le triptyque Marina Linton, Puerto Lindo et Panamarina soit incontournable, mais c’est une escale où nous avons quelques souvenirs plutôt agréables, à une demie journée de navigation côtière … Ce qui pour notre retour aux « affaires maritimes » nous convient parfaitement.
Bien que nous remontions vent et vagues, nous sommes très satisfaits de notre mise en « jambes ». La journée est belle et nous remontons à la voile sur plus de la moitié du chemin.
Revenir sur ses pas, l’endroit fusse-t-il anecdotique, c’est aussi retrouver ses marques et ses repères. Un sentiment agréable de confort et de sécurité que nous avons rarement ressenti au cours de notre périple qui jusqu’ici se présentait comme une route à sens unique.
Nous retrouvons donc le mouillage de Puerto Lindo, un poil plus encombré qu’à la mauvaise saison. Mais aussi la « Casa X », le restaurant de Hans et son fils Martin. Rien n’a vraiment bougé en 6 mois, pas même les chauves souris qui continuent de prendre racines sous le drapeau Brésilien.
Le restaurant français de Panamarina, tenu par Nico, reste un lieu de « gastronomie populaire » tout à fait recommandable. Pour certains, le « jour de la vache » hebdomadaire y est une institution qu’un garçon boucher ne renierait pas.
Sans surprise, la Marina Linton, reste une zone en chantier triste et sans autre intérêt qu’une connexion internet souffreteuse.
Las, point de ciel sans nuages au Panama, et à notre premier réveil, nous découvrons incrédules notre première avanie de la saison … batteries de service « à plat de chez à plat » … moins de 11 volts. Comme un coup de semonce qui annonce des ennuis et … des frais.
Heureusement, qui dit région familière dit aussi contacts … et nous retrouvons illico presto Pierrick, l’électricien français du mouillage, que nous avions rencontré à notre arrivée. Les batteries héritent du verdict « pas si mal que ça » voire « pas mauvaises du tout ». Le circuit de charge par contre n’inspire que suspicions.
Trois jours plus tard, sans diagnostic, nous sommes contraints de prendre la direction de l’austère marina pour pouvoir recharger, travailler à quai et dormir à plat … le mouillage est vraiment trop inconfortable avec la houle insistante.
Comme l’adage que j’ai entendu il n’y a pas si longtemps, les « emmerdes volent toujours en escadrilles » et le mauvais temps qui s’annonce nous immobilise 15 jours au port en terrain connu.
Nous en profiterons, souvent avec l’aide de Pierrick, devenu un bon copain, pour découvrir, un peu plus loin des terres inconnues.
À l’heure où nous nous préparons à rejoindre l’archipel des San Blas au Panamà, ultime refuge des indiens caraïbes, les Kunas, nous présumons pénétrer une zone de non connexion.
Je profite donc de nos dernières heures à Marina Linton et de son wifi famélique pour enfin annoncer la sortie du second tome des aventures de Takoumi, « D’un océan à l’autre … ou presque » qui reprend l’intégralité du blog de la seconde saison et que vous pouvez commander uniquement en ligne sur le site de lulu.com, notre nouvelle «maison d’édition».
À l’instar du premier livre de la série, vous retrouverez, j’espère avec plaisir, nos aventures de l’année passée 2016-2017 dans un format papier, bien plus confortable à lire qu’un blog à la chronologie inversée.
À l’aide de cet ouvrage, il vous sera toujours possible d’animer vos soirées et d’épater vos invités, d’autant mieux que les photos sont de bien meilleure qualité que l’année précédente.
Comme toujours avec ce livre, nous n’oublions pas l’aspect pratique et il se prête bien à caler une armoire, mais il vaudrait mieux que ce ne soit pas la même que celle que vous avez entrepris de rééquilibrer avec le premier tome … les deux volumes n’ont pas la même épaisseur.
C’est aussi l’occasion de compléter votre collection ! Mais j’avoue sur ce point que cela ne doit pas concerner grand monde. À moins bien entendu que vous ne cherchiez à acquérir aussi le premier opus de nos aventures, toujours disponible chez notre précédent «éditeur» edilivre.com
Toujours est-il que nous vous souhaitons autant de plaisir à lire et relire nos aventures homériques que nous en avons à les écrire et nous vous remercions pour vos nombreux encouragements et soutiens.
Nous continuerons cette saison à tenter de vous faire voyager avec nous, que vous soyez sédentaire endurci, de retour sur la terre ferme, toujours en voyage, ou impétrant globe flotteur.
L’aventure du Canal de Panamá commence par un tableau de petites annonces … La procédure de passage exigeant 5 équipiers par bateau, nombreuses sont les propositions d’embarquement pour ce mythique passage.
Pour notre part, il s’agit de se lancer dans une opération d’apprentissage avant « notre » passage, histoire de maîtriser procédures et manœuvres. C’est aussi une manière de « faire le canal » dans le cas où nous renoncerions à y mener Takoumi.
Ainsi, à peine enregistré au bureau de la marina, nous nous précipitons sur les annonces pour en sélectionner une qui nous semble sympathique, elle est correctement rédigée, suffisamment informative, claire et travaillée pour nous assurer de la bonne volonté du jeune capitaine français dont la « bonne tête » transcende la photo d’identité qu’il a pris la peine d’y intégrer. Et puis surtout, c’est la première que nous voyons et nous nous arrêtons là.
Manuela vous en a déjà parlé dans l’épisode précédent. À l’heure d’aller postuler, un quiproquo nous amène à considérer une improbable embarcation d’acier fait maison au confort sommaire et à l’allure d’épave flottante. Au summum de l’excitation que nous suscite la « chasse à l’embarquement », cette découverte fait l’effet d’une douche froide et tempère sévèrement notre enthousiasme …
Dans le courant de l’après-midi, alors que nous soignons cette baisse de régime en terrasse du restaurant, nous hélons le capitaine recruteur reconnu sur photo pour enfin faire la connaissance d’Andréa, impétrant aventurier inspiré et inspirant à l’allure ravageuse et à la motivation contagieuse.
… Il faudra tout de même deux bonnes journées pour mettre fin à la méprise et apprendre que le bateau candidat au passage est celui d’en face … « Callipyge », fier quillard en aluminium de 36 pieds encombré mais décoré. Entre temps, nous aurons eu l’occasion de nous inquiéter plus d’une fois à l’évocation de son programme ambitieux compte tenu du bateau que nous avons aperçu. Nos réflexions personnelles sont d’ailleurs régulièrement ponctuées d’un laconique « il est gonflé quand même ! » … Et nous aussi !
Les quelques moments partagés avec Andréa avant l’embarquement (rencontres fortuites, déjeuners, apéritifs et dîners) sont mis à contribution pour faire connaissance avec cet ex-entrepreneur-paysagiste de l’île de Saint-Barthélémy. Son enthousiasme nous amène à penser qu’il parviendra à réaliser ses plans extraordinaires : il prévoit une traversée du Pacifique Panamá/Marquises en préambule à une année de dérive solitaire pris par les glaces de l’Antartique … Enfin, solitaire par défaut car de son propre aveu, il ne serait pas contre embarquer une compagne assoiffée d’Aventure … Soyons optimistes, si une relation survit à une première année en huis clos dans les conditions épouvantables des glaces australes, aucun doute n’est possible … c’est « la bonne » 😉
Toujours est-il que notre route commune avec Andréa débute par l’embarquement pour le passage du canal et la découverte de l’improbable équipage qu’il est parvenu à réunir en plus de vos serviteurs :
* Glen, notre doyen, marin professionnel américain, a le calme, la sagesse et la pertinence cultivés par une grande expérience de la mer. Il fera aussi preuve d’excellentes aptitudes à la sophrologie car Callipyge n’a vraiment rien à voir avec les yachts et maxi-yachts sur lesquels il a plutôt l’habitude d’officier … Nous découvrirons également avec amusement que nous avons une histoire commune : Alors que nous étions à Fort Pierce (ponton D) ce printemps, une copine de ponton insistait (lourdement) pour nous faire rencontrer un capitaine expérimenté (ponton E) ayant traversé le Canal de Panamá à plusieurs reprises … Alors que nous avions échappés à l’entrevue, c’est finalement sur le Canal, à bord de Callipyge que nous rencontrons Glen.
* Richard, dit « Rich », modèle photo par défaut, voyageur et aventurier par nature. Il a traîné sa frimousse de « Brad Pitt » de Tokyo à Cape Town. S’il aime bien la vie trépidante de Los Angeles, il apprécie bien plus les grands espaces naturels et la montagne où il pratique l’escalade. D’ailleurs, il n’est pas venu en bateau, il devait participer au convoyage du nouveau (mais pas neuf) catamaran du père d’un ami, mais comme on n’a pas toujours de la chance, il participe surtout à sa remise en état ! Co-équipier de dernière minute « parce qu’il en avait envie », il aura son heure de gloire lors de la « mission pizza ».
* Notre benjamine vénézuélienne, « Princessa » Angélica, « Cendrillon » du restaurant et pourtant titulaire d’un diplôme d’infirmière, profite de quelques jours de congés pour vivre le Canal comme une promenade exceptionnelle. Si je ne peux encore m’empêcher de voir Angelica au travers d’un œil paternaliste, Princessa me fera pleurer de rire à plus d’une occasion et Cendrillon m’inspirera du respect … si ce n’est pour les réalisations, au moins pour l’engagement. Pour ne rien gâcher, Angelica est aussi avenante que très bon public, ce qui nous sauvera la mise à tous quand nous nous apercevrons que le pilote du Canal se révélera être un bavard impénitent et infatigable.
Et c’est donc après un copieux déjeuner, en début d’un très bel après midi que l’hétéroclite équipage de Callipyge appareille pour l’Aventure du Canal ! La traversée du port Cristobal nous prend une bonne heure pour arriver aux « flats », zone de mouillage d’attente et de récupération de l’advisor (c’est le nom des pilotes officiels du Canal réservés aux embarcations de plaisances), que nous atteignons vers 14h30.
Notre jeune capitaine est un peu tendu au démarrage de cette importante étape, c’est compréhensible et dans l’excitation du moment nous lui pardonnons sans peine une arrivée « un peu » anticipée pour un rendez-vous prévu à 16h … derechef reporté à 16h30/17h par les officiels du Canal contactés par radio.
Nous passons donc l’après-midi à nous baigner, lézarder et bavarder, bières fraîches en main, sur le pont, dans le cockpit ou dans le carré. Les choses et les équipiers trouvent peu à peu leurs places et leurs marques. Nous commentons le programme qui s’offre à nous : premières écluses montantes en fin d’après-midi, nuit sur le lac Gatùn, réveil aux aurores pour parcourir le Canal et franchir les ultimes écluses descendantes menant à l’océan Pacifique … Une belle aventure bien organisée, bien planifiée et, normalement, sans surprises.
Un peu avant 16h, nous sommes rejoints au mouillage par un autre voilier avec lequel nous passerons les écluses de conserve. Il est plus grand que nous, propre comme un sou neuf, apparement bien protégé et sans doute bien équipé. Comme nous ne sommes pas jaloux, nous accueillons bien volontiers à notre bord l’équipier qui prétexte une baignade pour venir boire une petite bière avec nous 😉 Le « party boat » c’est bien le notre !
Au terme de l’attente, un gentil advisor rejoint l’équipage à … 17h30 … je suis tenté de pardonner les 1h30 d’attente bonus, mais dans ce cas, Andréa aurait autant aimé qu’il s’abstienne de nous faire forcer l’allure au moteur pour compenser un retard irrattrapable … sans compter que c’est à cette occasion qu’il nous confie ses doutes et inquiétudes concernant cette vaillante mécanique.
Toujours est-il que, grande allure ou non, nous n’atteignons la première écluse qu’à la tombée de la nuit. Ente temps, tous ce sont préparés au labeur, et j’ai même l’immense surprise de voir Cendrillon surgir du carré, motivée et équipée de chaussures de pont et de gants de voile … moi qui imaginais Princessa s’étant contentée d’un maillot de bain et d’une paire de lunettes de soleil … ça m’apprendra à juger trop vite …
Ordres pris, nous passerons les écluses à couple du grand voilier qui se chargera de la totalité des manœuvres. Si l’opération d’accouplement n’avait pas été aussi chaotique et désordonnée, nous en serions un peu chagrinés, mais au résultat des ordres contradictoires qui émanent des advisors à ce moment là, nous en prenons volontiers notre parti. La manœuvre est si désordonnée que je me souviens même répondre vertement à un ordre impossible qui, même après avoir été réitéré 3 fois, demeure impossible. Seule l’attention de Glen et son intervention salvatrice me permettent de tendre la garde dont j’ai la responsabilité.
Mais la nuit n’est pas la seule à nous envelopper d’un voile menaçant et les nuages s’amoncellent à la verticale de Callipyge pour finalement nous tomber sur la tête à l’entrée de l’ouvrage d’art dans lequel nous pénétrons en compagnie d’un gros porte conteneurs nous précédant, accueillis par des trombes d’eau. C’est ainsi que nous traversons cette première épreuve, trempés jusqu’aux os, spectateurs du calvaire des deux équipiers italiens en charge des amarres de pointe qui ne comprennent rien aux invectives hispanophones et toujours contradictoires des deux advisors traîtreusement retranchés bien à l’abri du luxueux voilier.
Au troisième et dernier sas, les italiens ont pris le coup demain et le quatrième aurait été parfait s’il y en avait eu un. Mais à cette heure tardive, le calme est revenu sur le lac Gatùn où nous nous déhalons paresseusement pour rejoindre les énormes bouées dédiées au mouillage nocturne. Après une courte soirée, dédiée à la pêche de l’unique poisson qui mordra à l’hameçon et au dîner, nous ne tardons pas à nous coucher, ni vraiment secs, ni vraiment confortables car la chaleur moite est revenue avant même le bateau amarré.
Le lendemain matin, dès potron-minet, l’équipage est debout, sur le pont équipé et surmotivé pour cette longue journée qui doit nous mener à l’océan Pacifique. L’excitation n’est pas redescendue d’un poil quand la pilotine (bateau des pilotes) daigne pointer son étrave avec quelques heures de retard (encore) … Et c’est tout à notre joie que nous l’observons s’approcher lentement, déposer le premier advisor sur le pont de notre voisin et … repartir sans même un mot, un geste ou quoi que ce soit à notre attention … et surtout en ne nous laissant pas notre advisor.
Déconcertés, nous attendons un signe du voilier voisin nous invitant à le suivre, mais lui aussi appareille dans l’indifférence et quitte le mouillage en nous laissant à notre solitaire perplexité.
Les minutes, puis les dizaines de minutes, s’égrènent dans le vide du lac Gatùn sans qu’aucun signe, officiel ou divin, ne vienne confirmer notre existence ou infirmer notre évidente transparence. Les appels radio répétés d’Andréa restent sans réponse, que ce soit aux officiels, aux cargos qui commencent à peupler le Canal ou même aux oiseaux … Il a tout essayé.
C’est grâce au téléphone de Glen et son forfait tout-terrain que nous avons une explication … À peine l’agent contacté, nous avons confirmation que nous ne sommes pas oubliés, mais « juste » reportés pour peine de mauvaise organisation … Ils n’ont pas d’advisor disponible aujourd’hui ! Je soupçonne qu’au moment où Andrea raccroche en concluant par un jovial « muchas gracias », tout le monde aimerait lui arracher le téléphone et faire passer un mauvais quart d’heure à l’oiseau de mauvaise augure.
Pour autant, les mines réjouies ont laissé place aux masques chagrins à l’aune de la perspective de rester prisonnier 24 heures durant. À ce moment précis où l’ambiance funambule menace de basculer du comique au tragique, j’entrevois le front soucieux de Glen et c’est la mimique catastrophée de « Princessa » qui me départ de ma propre expression résignée pour me rendre le sourire. Quelques dizaines de minutes plus tard, tous optent pour une bonne humeur teintée d’apathie …
C’est donc dans une ambiance bonne enfant que nous observons un crocodile paresseusement sillonner le lac … juste avant que, à nouveau, le ciel ne nous tombe sur la tête sous la forme d’un violent orage qu’un gros grain marin n’aurait pas renié. Ce dernier avançant sur nous tout aussi lentement que le crocodile, les plus téméraires d’entre nous en profitent pour sortir les savons et se préparer à bénéficier d’une « douche tahitienne » un peu plus agitée et tonique qu’à l’ordinaire.
L’ondée passée, tous reprennent le cours d’activités diverses. Qui la pêche (sans succès), qui des ballades en paddle (qui prendra son indépendance plus tard dans la journée) ou encore de plus ou moins longues explorations dans l’annexe instable et franchement pas rassurante (je rappelle ici que nous co-existons avec un croco).
Je retiens un autre moment drôlissime au sujet du déjeuner. Alors que le menu du jour se compose de poulet rôti froid en « buffet » self-service, Notre « Princessa », sans doute déterminée à faire payer notre capitaine sa propre frustration, s’exprime d’un ton si ferme qu’il n’admet ni retard ni objection : « I want some chicken » ! Et c’est dans la franche hilarité générale qu’elle ira se servir elle même 😉
En fin d’après-midi, jamais à court de velléités exploratoires, Rich lance l’impossible mission pizza et entraîne Angélica dans sa quête éperdue de junk food et de bières : Ils ont pour plan audacieux de rejoindre la route qui borde le lac, d’y faire du stop jusqu’au centre commercial et de revenir en taxi. « L’homme qui vit torse nu » en profite pour enfiler un t-shirt quand « Princessa » s’apprête d’une tenue que je soupçonne d’être mieux appropriée à une sortie en boite qu’à ce type d’expédition.
Toujours est-il que l’improbable duo revient bredouille une heure plus tard mais avec un nouveau plan … C’est qu’ils sont tenaces nos Aventuriers ! Ils rejoindront cette fois le « visitor center » de l’écluse pour y retrouver un taxi qui les emmènera et les ramènera … Enfin presque, puisqu’au retour, la route est fermée et qu’ils traverserons, de nuit et à l’estime, la jungle tropicale humide, pataugeant les tongs dans la boue, les bras chargés de leur butin, sursautants sans doute aux nombreux bruits de l’exceptionnelle faune environnante dont la plus terrifiante espèce est sans nul doute les fameuses grenouilles venimeuses.
Et dire que pendant tout ce temps, nous les attendons confortablement installés à bord de deux catamarans arrivés entre-temps et dont les sympathiques équipages de convoyeurs en route pour Tahiti nous ont recueillis à l’heure du « Ti-Punch » …
Quelques heures plus tard, rassasiés de pizzas, abreuvés de rhum, de bières et épuisés par l’inaction de la journée, nous dormons tous un peu mieux que la veille.
Au matin, à l’heure de la pilotine, c’est-à-dire plus tard que prévu, une légère angoisse étreint les uns et les autres … Mais nous accueillons avec bonheur la venue à bord de « notre » advisor, signe tangible de notre libération.
Ce dernier prend la peine de s’excuser et d’expliquer que l’organisation du Canal perd en efficacité depuis quelques temps. Il aurait été prévenu la nuit même où nous l’attendions … Pour le bien que cela nous fait !
Nous voilà donc repartis sur ce long chemin. L’advisor est vraiment très sympathique et se révèle inépuisable d’anecdotes historiques, de faits techniques et même de quizz-Canal ! 35 ans de Canal, cela laisse des souvenirs ! Plus guide touristique que pilote, nous n’éprouverons aucun besoin d’aller visiter le musée du Canal après ça. Heureusement, nous avons Angélica avec nous et elle tient à la perfection son rôle d’interlocutrice principale alors que les uns et les autres se relaient en fonction du besoin d’alternance soleil/ombre/cigarette. Le bonhomme est vraiment sympathique et serein, quand Angélica lui raconte l’expédition de la veille, il se contente de nous regarder avec un air attristé « elle ne devrait pas me dire ça, c’est interdit » …
Seul Glen, en mode sophrologie reste à l’intérieur. Nous nous demandons bien comment il fait, d’autant qu’il trouve encore le courage d’une ultime séance vaisselle avant les écluses, peut-être due à la culpabilité d’avoir renversé le plat de fajitas. Il en profite pour méditer sur le comment du pourquoi il est envisageable sur ce bateau d’empiler des assiettes sales au dessus de la pile d’assiettes propres.
À l’approche des écluses, nous aurons la bonne surprise de les passer seuls, c’est-à-dire sans bateau à couple. La manœuvre est donc soigneusement préparée avec les conseils de l’advisor qui se révèle être effectivement posé, expérimenté et respecté par ses collègues. Nous en tenons un bon là … dommage de ne pas pouvoir réclamer « son » advisor à chacun de ses passages.
Nous enchaînons les sas sans heurts et sans douleur. Sauf pour Manuela qui reçoit sur sa tête l’une des « bolas » envoyées par les éclusiers, heureusement sans conséquence. Les « bolas » sont des poids aux extrémités de cordes lancées par les éclusiers sur les bateaux pour récupérer les amarres. Pour ma part, j’en attrape une à la volée, mais c’est à se demander ce que certains visent vraiment.
Par contre, alors que le premier sas et franchi en un temps record nous permettant de dépasser les deux copains-catamarans d’hier soir, les deux suivants se font en compagnie d’un géant vert qui ne dispose que d’environ 60 centimètres de marge sur chacun de ses côtés. Ses manœuvres sont donc terriblement lentes et le temps s’allonge, s’allonge …
Jusqu’au moment magique où la dernière écluse ouvre ses portes sur le Pacifique, moment d’émotion immédiatement salué par une petite bière fraîche sous le « Pont des Amériques » …
Quelques milles plus loin, Manuela et moi débarquons avec les amarres et parre-battages de location pour aller récupérer les clés de l’appartement que nous louons pour quelques jours à Panamá City. De l’aveu d’Ariel, notre loueur, nous aurons meilleure mine (plus fraîche) quelque jours plus tard lors de la procédure de départ.
Pour le moment, nous nous contentons d’une douche rapide avant d’aller retrouver notre équipage à la Marina. Comme de bien entendu, nous ne les retrouverons pas à l’endroit prévu et sans le concours d’Ariel dans le rôle du messager, nous les chercherions encore alors qu’ils dînent à quelques dizaines de mètres de là.
Dernier événement notable avant de quitter nos amis, Manuela rejoindra callipyge en annexe, pour récupérer certains effets personnels, sous un magnifique orage … Ajoutez à cela la difficulté de trouver un taxi à cette heure et c’en est trop pour nos épaules fatiguées, la vieille garde prend alors congé et laisse les plus jeunes seuls partir s’encanailler pour un « dernier » verre jusque tard dans la nuit.
Alors nous arrivons à la conclusion de ce journal de traversée du canal. Bien qu’il reste encore une poignée d’anecdotes à raconter à la veillée, l’essentiel est partagé et comme il est de coutume « il est des choses sur le bateau qui restent sur le bateau » …
Pour beaucoup de monde, 24 heures d’immobilité à 6 sur un 36 pieds présagent de moments difficiles … Et bien non, quelle qu’ait été la pénibilité de la situation et de l’environnement, l’interminable attente transformera notre équipage heureusement dépourvu de vilain coucheur en un groupe plutôt bien soudé face à l’adversité. Modifiant nos enthousiasmes personnels en cohésion et en amitié. C’est sans doute cela un véritable équipage.
Pour notre part à Manuela et à moi, qui naviguons presque exclusivement seuls, c’est un peu une découverte, et nous apprécions beaucoup finalement … Nous Vous apprécions beaucoup !.. Merci à Andréa, Glen, Rich et Angélica d’avoir partagé cette extraordinaire Aventure du Canal avec nous.
Pour notre traversée de la zone la plus inaccueillante de la mer des Caraïbes, de « Grand Cayman » au Panama, nous avons été pour le moins mal inspirés puisque nous nous sommes fourvoyés au sujet de la route à suivre; de la durée de trajet; de la fenêtre météo et des prévisions … en quelques mots, nous nous sommes « bien loupé comme il ne fallait pas … là où il ne fallait pas ».
Il devait s’agir d’une traversée en père peinard … 5 jours en ligne droite au travers d’un vent absent et de pluies éparses le dernier jour … Il nous en coûtera 7 jours de vent de près dans un champ de montagnes liquides copieusement arrosées par de systématiques orages nocturnes.
Bon, j’en rajoute à peine. Nous prenons les deux jours de retard d’entrée, et si ce n’est une « légère » correction de route pointant sur la Jamaïque, ces deux journées perdues pour « reprendre de l’Est » se font dans de bonnes conditions.
Au second soir, nous prenons enfin notre route nouvellement définie pour éviter les courants contraires et les hauts fonds des côtes du Nicaragua.
Nous déplorons quand même la casse du chariot d’écoute de génois, suppléé par une sérieuse garcette qui plusieurs semaines après est toujours en usage … c’est une assez mauvaise nouvelle pour nous car ce type d’accastillage (qui plus est, date de 37 ans) est aussi courant dans ces contrées qu’un « singe hurleur » en haut de l’Empire State Building …tout le monde l’a vu à la télévision, personne en vrai 😉
Cette seconde nuit, alors que nous nous éloignons enfin de la Jamaïque, marque le début de notre mauvaise période météorologique. Forcément, avec 36 heures de retard, la fragile fenêtre météo se referme sur nous. Donc, à l’heure où le premier prend son quart et l’autre se repose du sommeil du juste, le radar annonce un grain … si étendu, avec un diamètre de plus de 6 miles nautiques en expansion, qu’il n’est pas question de l’éviter.
Comme un haut fond nous refuse la fuite vers l’Ouest (à 10 miles, une grosse heure dans ces conditions), nous choisissons de rentrer les voiles et d’affronter le mauvais temps au moteur. À ce moment là, l’orage nous « tombe dessus » avec moult éclairs, cataractes ininterrompues d’eau et grosses rafales … autrement dit … nous avons deux minutes de retard pour les manœuvres … comme des bleus … comme si nous n’avions rien appris de deux ans de navigation … honteusement en retard.
La bataille pour rentrer les voiles est donc sérieuse, la pluie déchaîne sur nos têtes des hectolitres d’eau et le vent fort nous oblige pour la première fois de notre voyage à utiliser un winch pour enrouler le génois.
Dans la bagarre, Eole, sans doute contrarié de nos efforts, emporte la bouée de survie et sa lampe à retournement. Je la regarde s’éloigner sous l’orage nocturne sans autre pensée que de constater le bon fonctionnement de l’ensemble.
À ce moment, Manuela constate 12 nœuds de vitesse au gps pour 35 nœuds de vent arrière … (je fais le calcul pour vous … 47 nœuds de vent vrai … sans commentaire.)
Heureusement, nos manœuvres s’achèvent vite, sans autres pertes, et quelques minutes plus tard, nous faisons route au moteur … trempés et fatigués … mais saufs.
… Nous ne sortirons de l’orage que 6 heures plus tard …
Et c’est ainsi que les 5 jours suivants s’enchaînent dans l’inconfort, rien ne sèche vraiment à bord et l’humidité se fait sentir, (très) grosses vagues de travers qui s’invitent sur le pont le jour, partie de cache cache avec les orages la nuit. Nous avons quand même plus de réussite et ne nous faisons plus prendre par surprise.
C’est un jeu éreintant qui, si l’on souhaite vraiment l’emporter, nous impose une veille constante et de perpétuels ajustements d’allure et réglages de voiles, mais ainsi, nous ne vivons pas d’autres « gros événement » avant l’ultime nuit de navigation.
Le problème de l’atterrissage après une semaine de navigation est que nous ne disposons pas vraiment comme bon nous semble de notre heure d’arrivée. Il est évidemment difficile d’accélérer quand l’objectif a été, 5 jours durant, de parcourir le chemin aussi vite que possible … mais aussi (c’est psychologiquement subtil) de ralentir …
Nous arrivons donc à quelques heures des côtes Panaméennes à la tombée de la nuit. Comme les orages sont encore (et toujours) de la partie. Nous passons la nuit au moteur à faire des ronds dans l’eau pour éviter les zones de pluie … comme les autres nuits en somme … mais sans avancer vers notre but.
Au lever du jour, les orages grondent toujours, et partout bien que plus faiblement, quand il nous semble apercevoir une trouée dont nous pouvons profiter pour nous précipiter vers la côte, ses eaux calmes et ses abris. C’est au cours de ce dernier effort, à l’heure du quart de Manuela que le dernier orage se reforme sur nous et malmène notre Takoumi une dernière fois avant d’atteindre notre but : le Panama, nous y sommes enfin !
Deux iles se disputent le Sud de Cuba, la Jamaïque à l’Est et les Iles Caymans à l’Ouest. Chacune évoque pour moi un film de Tom Cruise avant qu’il ne devienne complètement « TocToc » … « Cocktail » avec le fabuleux morceau de musique « Kokomo » et la scène culte « Jamaïca Jamaïca » … « La Firme » où une plongée sous-marine donne au jeune et gentil avocat l’occasion de réunir les preuves qui lui assureront de s’extirper du nid de vipères où il s’est laissé coincer … Bien entendu, cette introduction a comme unique but de vous encourager à voir ou revoir les vielles gloires cinématographiques citées et d’écouter les « Beach Boys ».
Comme nous venons de l’Ouest de Cuba, « Grand Cayman » s’impose à nous comme l’étape la plus évidente pour notre route vers le Panama. Si proche du départ et tellement moins emblématique que sa grande voisine, nous aurions été tenté de la snober … Mais nous aurions grandement eu tort !
Pas grand chose à dire sur l’arrivée, si ce n’est un quai abrupte et menaçant, un bon accueil des officiels malgré une fouille trop minutieuse longue et harassante … pour le douanier inspecteur un peu trop fort pour se glisser dans les coursives, moi ça va, merci 😉
Pour compléter le tableau, nous profitons de bouées gratuites tout au long de notre séjour, face à la ville, aux quais de commerce et à l’ombre des bateaux de croisières. Tout ceci dans une eau incroyablement claire et constellée de magnifique coraux que nous aurions pensé incompatible avec le niveau d’activité.
D’ailleurs, nous ne bougeons pas de tout notre séjour, avec une bouée idéalement placée, un snorkeling impressionnant dans la baie, un accès facile à terre pour la découverte, pourquoi bouger et se rendre dans le lagon du centre de l’île dont la particularité est de présenter un accès particulièrement difficile pour les bateaux à fort tirant d’eau ? En plus, sans être loin de tout, il n’est prêt de rien, sinon de deux marinas perdues loin des facilités de la ville.
Finalement, pour nous, Grand Cayman est avant tout une terre de « civilisation » et de rencontre :
« Civilisation de la consommation » dans un premier temps car l’île, bien que teintée d’accent carribeen, est très fortement marquée par l’influence américaine. Voirie, zone de bureaux/loisirs accueillant grandes entreprises et restaurants huppés, quartiers résidentiels de bon niveau incluant des pontons privatifs … L’économie locale semble avoir la pêche !
Terre de rencontre au cours de notre premier dîner en ville où nous faisons la connaissance de Bruno, qui nous réserve le meilleur accueil possible chez « Guy Harvey », le meilleur restaurant du bord de mer (La pièce de bœuf y est exceptionnelle et malgré un prix prohibitif, nous y reviendrons). Nous établissons d’ailleurs notre quartier général sur la terrasse de l’établissement pour la durée de notre séjour. Wifi d’enfer, produits de qualité et personnel bienveillant emportent notre adhésion.
La visite de l’île est menée bon train. Nous entamons la visite de l’île dans une voiture de location (agence face au bateau, bonheur !) avec une liste des points d’intérêts sélectionnés par notre nouvel ami.
Plages visités par les tortues, côte déchiquetés par l’érosion produisant de grandes gerbes d’eau appelées « blow holes », restaurant local de poisson frit sur la plage, restaurant français sans français et pointe aux étoiles de mer … la matinée est menée tambour battant.
Une curiosité tout de même : tout est à vendre ! À chaque maison, chaque terrain, son panneau « for sale » … Alors que j’y pressens un signe de faiblesse de l’économie locale, il semble, selon Bruno, que ce soit plutôt le fait d’une culture « Monopoly » où vendeurs et acheteurs sont toujours à l’affût d’une bonne affaire.
À l’heure du déjeuner, nous nous retrouvons dans un complexe touristique, et malgré l’horreur que nous inspirent normalement ces lieus, nous en profitons pour nous offrir un embarquement pour aller nager dans le lagon avec les raies, une des principales attractions touristiques de l’île. C’est ainsi que nous nous retrouvons à bord d’un vulgaire « promène touristes », armes de masques palmes, tubas et énormes sandwichs à emporter (urgence oblige) pour une aventure que finalement, nous aurions regretté de bouder.
J’ai toujours une attitude assez circonspecte face aux activités touristiques ayant un fort impact sur la faune. Mais force m’est de constater que dans le cas présent, ce sont bel et bien les raies qui poursuivent les touristes « parfumés aux calamars » et hurlants de terreur 😉
Nous continuons notre « road trip » en retournant à l’ouest de l’île pour y découvrir des zones résidentielles (avec canaux et marinas, s’il vous plaît !), la zone d’activités en expansion de « Camana Bay », savant mélange de « La Défense » et de zone commerciale., ainsi que la « French Bakery » de Silviya et Bruno, leur nouvelle aventure !
À la nuit tombante, nous concluons cette journée « découverte » dans un « chouette bouiboui local », de bord de mer, le « Heritage Kitchen », dont le décalage caraïbes/amérique nous ravi.
Plus tard dans la semaine, Bruno nous emmène en promenade pour voir le « Carnaval alternatif » : une procession joyeuse, bruyante, dansante et copieusement arrosée. Cette journée est placée sous le signe de l’amitié et de la découverte de l’univers de Bruno et de sa famille avec laquelle nous poursuivrons jusqu’après le dîner.
Après tout ça, les préparatifs annoncent le départ. Et si remplir les cuves de « diesel et d’eau » au quai des bateaux à cargaison est une aventure en soit, le supermarché est lui à porté de pieds …
Une dernière référence pour saluer Bruno et l’île de « Grand Cayman » : « See you lator Alligator, not for a while Crocodile » !
Suite à 60 heures en mer – dont une nuit calme, l’autre rocambolesque – nous arrivons à Maria La Gorda, site de plongée « international » incontournable des Caraïbes. Le mouillage est magnifique et désert mis-à-part les trois bateaux de plongée du resort qui occupe tout le rivage. Arrivés de bon matin, nous nous amarrons à l’une des 5 bouées dont seulement 2 sont ainsi vraiment disponibles pour les plaisanciers – qui auront néanmoins la jolie surprise de ne les payer que 30 centimes de CUC par jour.
Comme il est encore tôt, nous souhaitons nous reposer avant de rejoindre la terre, mais sommes « klaxonnés » par l’un des bateaux de plongée nous sommant d’aller voir le « responsable du port »…un jeune homme prénommé Haciel enregistre notre arrivée, une bonne heure durant, dans un minuscule petit bureau sans fenêtre mais climatisé, où il dort également pendant 15 jours…
Contrairement à notre habitude, le resort « sportif » et eco-friendly car organisé autour de l’activité plongée, nous accueille comme ses hôtes et nous pouvons profiter de toutes leurs installations : plongée, restaurant et bar à prix raisonnable et centre médical… Je me ferai même faire faire un massage par l’infirmier…urgentiste, reconverti depuis deux mois à ce nouveau poste !
Il va sans dire, nous participons à une plongée organisée sur la barrière de corail qui est splendide, bien que nous l’avouons, un cran en dessous de notre dernière plongée à petite anse en Guadeloupe avec notre cousine Sylvie…Et puis….eh bien c’est tout ! Parce qu’il n’y a absolument rien d’autre à Maria La Gorda, petit paradis solitaire loin de tout…
Si loin et compte-tenu des difficultés de déplacement des Cubains qui ne possèdent généralement pas de véhicule personnel, que les employés de Maria La Gorda viennent y travailler minimum 3 à 15 jours d’affilée logés sur place. C’est bien le premier pays où nous réalisons être plus mobiles que ses habitants, à bord d’un bateau à 10 km/heure en moyenne !
Nous repartons au bout de trois jours mais seulement après les formalités de « despacho » obligatoires pour tout navire quittant le port. Pour bien appréhender l’importance des formalités ici, il faut se rendre compte que, à chaque sortie, trois fois par jour, les bateaux de plongée du site sont assujettis à le même paperasserie. J’ai conclu de ces multiples expériences que la procédure régnait à Cuba, qu’il ne fallait pas être pressé, mais que si tu suivais la procédure, tu pouvais presque tout faire parce que l’on ne nous a jamais rien refusé concernant nos projets de navigation. Par exemple, pour un départ nocturne, c’est tout à fait possible, mais le gardien du temple de La Guarda Frontera doit justifier sa présence exceptionnelle de nuit afin d’effectuer les formalités de ton départ (nous soupçonnons quand même qu’il faille faire preuve d’un minimum de sociabilité et d’empathie pour bénéficier d’un tel traitement). Nous n’avons finalement pas opté pour cette option, mais je suis certaine que la procédure nous aurait comblés, au rythme lent des Caraïbes….
Nous quittons Maria La Gorda en direction de Cayo Largo le 2 Mai, et naviguons à côté de dauphins le soleil couchant…Et surtout, d’une baleine au lever du soleil, instants rares et incroyables qui nous apaisent avant une prochaine nuit houleuse en mer.
Nous profitons d’un mouillage à Cayo Campos dont l’entrée est très étroite et l’envergure faible, avec très peu de fond pour s’ancrer derrière la barrière de corail. Mais l’accueil d’une tortue géante et une superbe ballade aquatique sur le reef rendent l’étape intéressante.
Le lendemain nous rejoignons le mouillage du Canal del Rosario, accueillis cette fois-ci par les pêcheurs dont nous dégusterons les dernières langoustes pour seulement 3 CUC : repas du soir succulent !
Nous n’arrivons à Cayo Largo que le 5 Mai pour notre dernière étape cubaine, la moins intéressante malheureusement : la Marina est très sale, chère et décevante. Il nous semble même y voir et ressentir les prémices du côté néfaste du tourisme et des investissements étrangers déjà bien présents. Quand bien même, nous y passons de très bons moments en compagnie de nombreux voisins Russes et Ukrainiens.
Même si les distances sont grandes, la mer est petite et nous avons la bonne surprise d’y retrouver par le plus grand des hasards Vincent, notre médecin formateur de la Grande Motte (en 2015 !?). Après qu’il ait formé des légions d’aspirants au Grand Voyage, nous sommes heureux de le croiser sur sa propre route : lors de la formation, nous avions ressenti de sa part une véritable envie de s’élancer à son tour (et peut-être même un peu d’impatience). Finalement, à bord de Madgic, son épouse et lui nous ont rattrapés.
C’est aussi l’occasion de sympathiser également avec leurs amis de Tao que nous espérons peut-être revoir au Panama.
Olivier et moi prenons conscience à ce stade de l’importance de ces rencontres sans lesquelles le voyage ne nous suffit pas, et le rythme de notre périple nous laisse parfois bien seuls et un peu démotivés n’étant pas ou peu enclins au vide de partage. Il nous plait d’ailleurs de prévoir de rejoindre Madgic à Grand Cayman dans un jour ou deux. En fin de compte cette rencontre n’aura pas lieu parce que nos projets changent continuellement en voyage. Mais au départ de Cuba, cette perspective nous a accompagnés dans notre ferveur à rejoindre une nouvelle île des Caraïbes, que nous savons bien différente de celle que nous quittons et aimons. Cuba nous a tranquillisés quelques semaines durant, et je l’espère, un peu plus éloignés de nos traditions de consommation.
Et je terminerai par poser une question que tous les Cubains auxquels on s’est attaché nous ont posée : quand reviendrez-vous?
Par une journée ensoleillée, nous faisons une belle arrivée à la voile dans le chenal principal de Key West. Et notre mouillage est choisi au plus proche du port après avoir fait le tour des possibilités. Pour nous y rendre, il faudra « seulement » traverser le chenal et la place semble protégée du coup de vent du nord attendu.
Nous passons le reste de la journée à bord, repoussant une éventuelle sortie à terre au profit d’un repos bien mérité et de la contemplation de magnifiques « schooners », vieux gréements traditionnels à deux mâts, ré-armés pour des sorties touristiques à la journée à l’instar d’une multitude de catamarans nettement moins sexys, submergés par une foule de touristes.
Nous n’allons pas à terre non plus la journée suivante, mais pour une raison tout autre … le moteur hors bord refuse obstinément tout service et une journée complète et entière (10h-18h) de mécanique n’y changera rien … Mercury:1 Olivier:0 …
Encore une grosse matinée de bricolage le lendemain … Mercury:2 Olivier:0 … Nous irons à terre avec le moteur au ralenti, fonctionnant uniquement au starter …
Nous retrouvons tout de même avec plaisir Key West et le « Schooner Wharf » comme nous l’avions laissé lors d’un précédent voyage et profitons des abords de la Marina.
Conseils et matériel technique sont disponibles au magasin « WestMarine » où nous allons nous fourbir en armes contre notre récalcitrant moteur. Quant au repas et au wifi, ils nous sont prodigués par les bons soins du « Turtle Kraas » face au dinghy dock surchargé.
A l’issue d’une course de tortues où Manuela a parié pour moi sur l’athlète gagnante, j’ai le plaisir de participer à une sorte de tombola / jeux dit « des boites » organisé dans l’établissement. Comme la majorité des participants, je repars bredouille, mais heureux d’avoir profité de l’ambiance distillée par un organisateur adepte des retournements de situation « à la Arthur ».
Nous rejoignons donc le bord avant le coucher du soleil (sécurité oblige), rassasiés, informés et prêts à en découdre avec l’insolent hors-bord.
Même avec un peu d’équipement, la matinée de mécanique s’éternise bien que je marque des points jusqu’à l’ultime remontage au cours duquel, la sale petite pièce responsable de tous nos maux décide unilatéralement de prendre son indépendance et de partir prendre un bain … Mercury:Victoire par KO !..
Les jours suivants, nous irons en ville … à la rame ! Bienheureux d’avoir ancré au plus près de la marina. Et nous profitons de quelques jours de détente octroyés par le week-end et une météo pas vraiment favorable pour reprendre des activités plus dans nos habitudes telles que de longues pauses en terrasse pour reprendre des forces entre deux promenades « découverte » dans la ville suivant les indications de notre amie Shelly de « Planet Waves », une locale de l’étape rencontrée en Guadeloupe. De toutes façons, la misérable petite pièce commandée le lundi n’est prévue que mercredi … Autant en profiter !
Ou comment rallier Fort Pierce à Key West en 6 jours au lieu de 3 !
Du départ de la Marina au lendemain matin, tout va bien malgré le fameux « Gulf Stream » que nous devons remonter et qui nous ralentit beaucoup. Les choses se compliquent à la latitude de West Palm Beach quand le courant devient plus fort et que, même au moteur, nous peinons à avancer à plus de 3 nœuds … Ça promet d’être long !..
Un peu plus tard, en fin de matinée, le vent force sérieusement et lève des vagues de plus en grosses qui ralentissent encore notre progression jusqu’à la stopper … Cela nous apprendra, incorrigibles optimistes, à braver de concert le courant marin le plus connu du monde avec le vent et la mer contre nous. Finalement, sans autre choix et surtout aucune envie de subir cette situation toute la nuit, nous rebroussons chemin vers West Palm beach où nous trouvons refuge et mouillage dans les « intracoastal waterways », les canaux intérieurs de la côte Est des Etats-Unis qui servent de « route à bateau » alternative à la haute mer.
Le vent est si calme au matin qu’il ne nous permet pas d’affronter le courant dans sa partie la plus forte. Tant mieux, nous en profitons pour nous lancer dans l’expérience des fameuses « intracoastal waterways » !
Bien que nous ayons tous les deux obtenu notre permis « extension fluviale » cet été en France, nous n’avons jamais navigué le long d’un canal, et notre expérience des « ponts à bascule » se résume à deux entrée-sortie de l’Etang de Tau à travers la ville de Sète. C’est assez léger comme expérience, mais quant il s’agit de se lancer, nous savons y faire et ce sont pas moins de 19 ponts (oui oui, vous avez bien lu, dix-neuf !) qu’il nous faut franchir pour rejoindre la prochaine sortie à Fort-Lauderdale.
En fait, nous prendrons le coup de main en 3 à 4 ponts seulement, c’est finalement assez simple … Au sortir d’un pont, il faut déterminer la distance au prochain et décider s’il convient de flâner ou de se précipiter en fonction de l’heure d’ouverture du suivant, puis, en vue du pont, se signaler sur le canal 9 et attendre plus ou moins longtemps l’ouverture pour enfin s’insérer dans le tumultueux traffic des petits et gros bateaux.
Bien entendu, si attendre, parfois 25 minutes quand on manque de chance, sans bouger est parfois compliqué le vrai coup d’adrénaline survient quand, après une course effrénée, le pont est atteint en retard sur son ouverture et qu’il faut alors continuer sur sa lancée pour le franchir juste avant sa fermeture … Et, de ceux là, il y en a un certain nombre !
Pour le reste, la waterway est comme une grande avenue américaine bordée de maisons et de résidences « pieds dans l’eau », souvent luxueuses, parfois plus raisonnables. Les pontons privés fleurissent de part et d’autre, surtout dans les cours d’eau secondaires qui sont à la « route d’eau » l’équivalent des allées des quartiers résidentiels « terriens ». Les usagers y circulent donc en bateau à moteur comme s’ils prenaient leur voiture depuis leur allée mais pour se rendre en mer, à la pêche, juste se promener, ou même directement chez des amis !
À vrai dire, nous nous étonnons que sur les rives, il n’y ai que quelques rares cafés/restaurants et aucun commerce. Sans doute parce que tous les emplacements sont occupés par des propriétés privées ? Dans tous les cas, je pense qu’il y aurait un business à faire ici, peut-être un combiné bar-terrasse/épicerie/shipchandler ?
Quand le soleil commence sa descente, nous nous organisons un mouillage dans la petite baie de Lake Santa Barbara plutôt que de poursuivre à la lueur des feux de la ville. Il ne reste que quatre ponts jusqu’à la sortie et nous en avons quand même franchis 15 au cours de cette journée. Si nous étions partis plus tôt, nous aurions eu les 19 sans difficulté, mais nous serions retrouvé en plein cœur de Fort Lauderdale pour la nuit, et cette situation n’avait pas notre préférence.
À peine ancré, nous recevons la visite de Mario le Québecois qui vient nous saluer à la faveur de la promesse francophone de notre drapeau français ! Nous l’inviterons à bord pour « faire salon » et discuter un peu. Il est un plaisancier inexpérimenté et vient d’acheter pour un très bon prix un très beau voilier presqu’aussi grand que le notre … mais dans un état qui l’oblige pour ainsi dire à le restaurer depuis le fond de cale jusqu’à la tête de mât ! 3 mois qu’il galère, et disons le franchement, dire qu’il y a encore du boulot … c’est peu dire !.. Quoi qu’il en soit, nous apprécions beaucoup la simplicité bourrue et le langage coloré de notre étrange invité, mélange inattendu de camionneur/bûcheron canadien et de « bagpacker » désorienté.
Au lendemain, les 4 derniers ponts seraient une simple formalité si l’ultime ouvrage d’art de ce périple intérieur n’avait recelé une pépite. Disons que plus nous nous approchons de la sortie de Fort Lauderdale et plus le traffic se fait dense pour constituer une file ininterrompue de bateaux.
Dans cet configuration où la place pour manœuvrer est comptée, nous approchons du dernier pont et bien que nous pensions pouvoir passer dessous en position fermée, nous sommes assez déçus de manquer l’ouverture de peu, très peu … trop peu …
Nos documents sont contradictoires, 45 pieds de hauteur libre pour l’un, 55 pour l’autre. Au dernier calcul (j’y reviendrai), nous mesurions 45 pieds de tirant d’air : à 55 on y va ; à 45, on n’y va pas.
Les discussions VHF sont difficiles car encombrées, et à la troisième tentative, le pont répond enfin à notre demande insistante de confirmation « lisez la jauge fixée sur la pile de pont, nous ne sommes pas autorisés à vous donner cette information ». Autant dire que nous sommes furieux, ça nous fait une belle jambe car quand nous serons assez proches du pont pour lire cette fichue jauge, il ne nous sera plus possible de faire marche arrière … Heureusement, une âme compatissante, sans doute aussi indignée que nous de la réponse des gardes ponts, nous indique la hauteur libre « 55 pieds à marée haute sur mes documents » !
Soulagés, nous pouvons poursuivre dans le flux de circulation jusqu’à la fameuse jauge qui indique 56 pieds au moment où nous nous engageons. Ma parole, que ce moment est stressant ! Que le mât est grand ! Que l’antenne est proche du tablier du pont … mais, mais, nous allons nous prendre dans les feux suspendus !.. Non … c’est passé mais pas loin de la punition quand même.
Pour le reste, après avoir évité un pétrolier qui prend la même sortie que nous, il ne s’agit plus que d’évoluer calmement vers la sortie dans une cohue désordonnée de bateaux tout aussi impatients que nous d’atteindre les eaux libres.
En mer cette fois, après une belle journée et une nuit super, la houle redevient inconfortable et impressionnante en face des « Florida Keys ». Comme une grande fatigue s’additionne à une météo peu engageante, nous décidons de faire halte à mi-chemin de Key West et ouvrons la liste des mouillages des Keys téléchargée in-extrémis avant notre départ … Mais à notre grand désarroi, aucune place praticable ne protège du vent d’Est … Double confirmation de l’analyse des cartes, nous semblons obligés de continuer dans la nuit agitée qui s’annonce et aucun moyen pour nous de passer sous la route US1 dont le plus grand pont « culmine » à 6m50 de hauteur libre.
Franchement désireux d’éviter les complications et, il faut le dire, assez honteux de notre manque de préparation, nous tentons tout de même l’approche d’une baie où nous pourrions éventuellement ancrer … pas idéal mais jouable.
Même s’il ne faut jamais compter dessus, il faut parfois un peu de chance et à l’approche de la baie, nous repérons un grand et magnifique pont salvateur ! Le « Five Channel bridge » que nous n’avions pas repéré sur nos cartes électroniques : 65 pieds de hauteur libre, c’est Bysance ! Enfin, pas tant que ça, même si cette fois nous avons la garantie de passer dessous, le sentiment de proximité du haut du mât et du bas du pont est bien présent quand même … Plus tard, au mouillage, nous reprendrons nos calculs et conviendrons d’un tirant d’air de 50 pieds tout compris. Rétrospectivement, nous repensons avec angoisse aux 55 pieds du pont de Fort Lauderdale …
L’île de « Matecumbe Key », qui était l’un de nos lieux préférés quand 5 ans auparavant nous avions visité cette région, abrite notre mouillage pour la nuit. Celui-ci est un peu compliqué à trouver à cause de notre fort tirant d’eau, mais l’île nous accueille confortablement dans une zone où aucune carte n’indique de mouillage. Comme nous encourageons 4 autres émules à ancrer ici, peut-être le sera-t-il prochainement, allez savoir.
Bien que nous poursuivions notre périple par le « Hawk Channel » bien mieux protégé que la haute mer, une étape supplémentaire nous est nécessaire avant Key West pour éviter une arrivée de nuit. Et fort de notre inexpérience de la veille, nous repérons une belle étendue d’eau suffisamment profonde planquée derrière « Big Munson Island », au sein des « Big Pine Keys » avant de partir … sereins.
Mauvaise pioche … le « Newfound Harbor Channel » se révèle étriqué et ses abords encombrés de bouées et de hauts fonds. Nous y talonnons deux fois alors même que nos cartes nous promettaient une somptueuse hauteur d’eau à ces endroits.
Qu’à cela ne tienne, nous ancrons au centre du chenal et contre nos prédictions, personne ne vient y redire, bien que chacun des nombreux passages révèle un inévitable moment d’indécision pour les canots à moteurs … passeront-ils par la droite où la gauche ? J’y vois l’effet bénéfique (il en faut bien un) d’un comportement individualiste qui veut que tant que la gêne n’est pas excessive, l’individu ne cherche pas la coercition systématique à l’égard d’autrui, un comportement que nous autres français ferions bien de méditer il me semble.
Pour revenir à notre voyage, cette difficile navigation vers « Key West » altère quelque peu notre enthousiasme et nous nous posons nombre de questions sur la suite de la route. Nous sommes désormais trop habitués aux navigations faciles vent portant, à la chaleur et aux étapes diurnes … dans le plus fort de la houle, nous irons même jusqu’à proférer la suggestion de retour par le Canada ! La Patagonie nous appelle encore, mais le chemin est long, très long. Takoumi s’use; nous aussi. Tiendrons-nous tous les 3 l’étendue de ce qu’il nous reste à parcourir ? Ce n’est que le début du second voyage tant la Terre de feu semble encore loin …
Great Harbor à Berry Island sera pour nous l’Ile de Ronnie, ancien capitaine, pêcheur professionnel et au passage, tenancier du seul bar restaurant du village!
Mais avant de le rencontrer, nous avons commencé par visiter la Marina excentrée nourrissant nos espoirs de rencontrer de la vie, pensant y trouver un ATM pour renflouer nos poches presque vides…et pourquoi pas, y trouver une terrasse accueillante ? Le chemin menant à cette étrange Marina bordée d’appartements de vacances nous fait passer dans un long couloir de mer entre la pierre et traverser un grand lagon.
Arrivés, nous nous mettons à couple d’un bateau de pêche pour escalader par une échelle le haut ponton devant les quelques âmes qui errent ou s’affairent à terre. Nous comprenons rapidement qu’il n’y a pas de possibilité de retrait d’argent et encore moins de terrasse accueillante ici, si ce n’est un snack fréquenté par deux sympathiques québécois arrivés depuis la veille et ancrés à nos côtés au mouillage. Eux ont déjà visité le bourg et nous préviennent qu’il n’a pas plus d’intérêt que cette Marina toute moche, et que nous ne trouverons rien d’autre à cette escale que ce snack quasiment déserté… C’est trop triste alors nous relevons tout de même le défi et convenons – avec nos voisins – que si nous ne trouvons rien en ville, nous passerons boire l’apéritif à leur bord avec grand plaisir !
Rejoindre le village prend autant de temps mais arrivés au dock gouvernemental, nous ne marchons pas longtemps avant de taper à une porte, dubitatifs, mais devant laquelle nous avons remarqué une jolie table ronde et un semblant de parasol. C’est maintenant que nous rencontrons Ronnie qui paraît lui-même surpris que nous ayons trouvé son humble demeure. Il nous accueille immédiatement en nous invitant à nous assoir au « bar » et discuter avec lui. Ce n’est qu’un minuscule troquet très local, pas étonnant que nos québécois aient pensé qu’il était fermé! Mais nous sommes rassurés d’y voir défiler un certain nombre des habitants du village venus emporter leur déjeuner.
Ronnie nous raconte alors « ses » Bahamas et dit qu’il est facile d’y vivre avec un bateau et quelque talent de pêcheur car les Bahamiens ont le droit de vendre le fruit de leurs efforts sans formalités ou taxes au coin d’un ponton ou d’une rue. Son rêve est de développer son établissement en installant cave à vins – italiens de préférence – et ponton pour accueillir les dinghys en face de la route. Mais son véritable souhait serait de se racheter un bateau à moteur – un Trawler de préférence ( n’est-ce pas cousins 🙂 ) afin de voyager d’île en île avec son épouse en pêchant pour gagner sa vie. Tous deux ont cumulé sept enfants dont une fille qui étudie le Français et rêve de faire son stage de fin d’études en France – nous ne manquerons pas de l’y aider si besoin !
Je profite de l’expérience de notre hôte pour découvrir le fameux spear fishing des Bahamas. En effet, la loi interdit les fusils harpons au profit de la pêche à la lance. Ronnie nous explique qu’il s’agirait d’empêcher les Bahamiens de s’entretuer s’ils avaient le droit de posséder un quelconque objet ressemblant à une arme, de loin ou de près…Son matériel est impressionnant et je trouve dommage, contrairement à Olivier, qu’il n’y ait aucun magasin de pêche dans le coin…
Entre temps la journée est déjà bien avancée, et nous demandons à Ronnie s’il pourrait nous faire goûter du Spiny Lobster si nous revenons dîner dans son boui-boui – sachant que nous devons encore retirer de l’argent…Nous tentons la banque qui vient de s’installer mais malheureusement l’ATM ne marche qu’avec les cartes bleues locales – malgré l’affichage Visa -qui ne semble jamais fonctionner aux Bahamas ! Ronnie téléphone à la Marina qui nous envoie au supermarché demander l’aide du manager qui pourrait nous rendre du liquide en nous facturant notre carte bleue…Il est en congés et ils n’acceptent pas la carte bleue de toutes façons ! Rien n’y fait, personne ne peut nous donner d’argent ici non plus, mais Ronnie souhaite vraiment nous faire plaisir donc nous convenons d’un repas – succulent – de spiny lobster pour deux pour tous les petits dollars qui nous restent ! Nous n’avons jamais revu nos voisins québécois et passé la soirée avec Ronnie, et son épouse.
Son île nous a laissé de jolis souvenirs de notre dernière étape aux Bahamas que nous quittons le surlendemain. Nous naviguerons une trentaine d’heures pour rejoindre les Etats-Unis et pour l’anecdote, je manquerai de pêcher un dernier magnifique thon jaune – parce qu’un certain Olivier chargé de l’épuisette, ne souhaitait pas trop salir le bateau et attendre avant de le remonter à bord !?