Au terme de cette croisière insolite à bord de Callipyge, nous nous installons au cœur de Panamá City dans l’appartement d’Ariel.
Très confortables mais exténués, plutôt sales et vidés de toute énergie touristique, nous nous y terrons 24 heures, juste pour profiter des douches, d’Internet et … dormir tout notre soûl avant de descendre découvrir le Casco Viejo, le vieux quartier rénové et incontournable de cette ville aux multiples facettes.
Nous n’allons pas plus loin que le coin de la rue pour commencer, au restaurant Casablanca qui propose un filet de bœuf aux champignons : il nous paraît prescrit dans notre état de fatigue physique, bien que notre moral soit au plus haut !
Nous ne sommes pas dépaysés très longtemps lorsque nous voyons tout l’équipage des catamarans rencontrés sur le lac Gatún débarquer sur la place ! Heureux de nos retrouvailles imprévues, nous formons une grande et belle tablée et passons une soirée festive en leur compagnie, nous remémorant l’épopée.
Enfin requinqués nous explorons le Casco Viejo le jour suivant, à la lumière du jour et admirons ses églises, ses ruelles, ses places arborées, ses cafés branchés, ses vues imprenables sur l’océan et sa magnifique Ambassade de France devant laquelle nous posons – pour notre cousine Marie qui connait bien cet endroit !
Panamá City est une vraie ville comme je les aime, moderne et antique au bord de l’océan, nous prenons vite nos marques en la découvrant en métro et à pied et en visitant tous les bars panoramiques de la vieille ville.
Les commerces de l’avenida central grouillent de magasins, souvent tenus par des chinois, de quelques grands supermarchés et de vendeurs de légumes assis près de ceux qui distribuent les tickets de la prochaine loterie dont les Panaméens raffolent.
L’avenida de Espana est parsemée de petits bouis-bouis et terrasses avant de rejoindre les luxueuses galeries commerciales du centre de la nouvelle ville, haute en néons colorés et en gratte-ciel imbriqués.
La ballade du bord de mer longe toutes sortes de complexes sportifs où les jeunes s’entraînent – au lieu de traîner – à la danse, aux majorettes, au foot ou au volley. Des vendeurs ambulants de jus de fruits frais les abreuvent tout du long, avant de rejoindre le marché aux poissons jonché d’un « hawker center » où déjeunent touristes et locaux mélangés.
J’admire les vieilles barques de pêcheurs qui sèchent encore de leur dernière sortie en mer.
Nous avions imaginé rentrer à Colón en retraversant le Canal à bord d’un autre bateau, mais, disons-le franchement, sur ce plan-là nous nous sommes encore dégonflés…et avons choisi de prolonger un peu de notre confort retrouvé par l’emprunt d’un moyen de transport le plus moderne qui soit : un « ouberre » dans le jargon Panaméen !
C’est au moteur que nous rejoignons l’eau de Colón peuplée de crocodiles Panaméens et de tankers de toute la planète aux effluves industrielles… Malgré quelques minutes de vent favorable à mi-chemin, nous n’avons pas le temps de dire ouf que celui-ci se calme au profit d’épais nuages semblent-ils omniprésents au Panamá…
L’entrée du Canal de Panamá à l’écoute du Cristobal Signal Station à la VHF est alors une étape majestueuse de notre voyage : si grande que la photo ne peut la rendre .
Un petit mille plus loin à l’ouest nous entrons dans le chenal étroit de Shelter Bay Marina, que nous découvrons comme la première civilisation : le ponton grouille au bout duquel un préau abrite tables de pique-nique et un grand feu de cheminée, l’eau de la piscine miroite à côté d’une terrasse généreuse près des « baños », presque dignes de l’hôtel avoisinant…Première douche chaude depuis longtemps suivie de travers de porc à volonté sur la terrasse surplombant les voiliers.
Nous nous mettons tout de suite en quête d’un bateau qui prévoit de passer le Canal de Panamá et qui recherche des « Line handlers ». En effet, chaque bateau doit embarquer un minimum de 4 équipiers pour gérer les écoutes – les « lines » -utiles au passage des nombreuses écluses du Canal. Aussi l’embauche d’équipiers temporaires est un business permanent ici, et le tableau d’affichage de la Marina est une mosaïque d’annonciateurs de traversée.
Nous allons frapper la coque d’un tout petit voilier d’allure improbable, inquiétant même, en souhaitant plus que tout organiser cette prochaine aventure. Engagés, nous apprendrons que trois jours plus tard que ce bateau n’était, heureusement, que l’intermédiaire point de contact d’un bateau un peu plus grand …mieux destiné à rejoindre le Pacifique ! C’est comme ça que nous rencontrons Andréa, son propriétaire parti il y a deux mois de St Barth son île natale . C’est un garçon fougueux et inspiré avec lequel nous partagerons un bout de voyage que nous vous raconterons…
Pour l’heure, nous profitons des quelques jours avant la traversée du canal pour visiter Colón. Prévenus que cette ville est dangereuse – pour de vrai – nous demandons au guide « taxi » Stanley de nous y emmener. Le spectacle de maisons anciennes qui s’écroulent me laisse sans voix, accompagné d’odeurs nauséabondes persistantes aux abords du marché noir que nous n’aurons même pas le droit d’arpenter…Stanley un peu inquiet lui-même, préfère nous enfermer dans sa voiture le temps d’y faire une course que nous lui avons commandée…
L’autre visage de la ville de Colón est la Free Zone où touristes et marchands du monde s’interpellent dans la cacophonie et l’anarchie. C’est une zone grise gigantesque encerclée de grands murs et de barrières infranchissables au milieu de la ville.
La Marina en est assez éloignée, au milieu de la jungle et d’anciens quartiers militaires américains aujourd’hui abandonnés, le seul moyen d’en échapper en dehors de quelques heures de pointe est d’emprunter un ferry pour traverser la baie de Colón. Notre première nuit sans orage est un bonheur retrouvé et j’apprécie de pouvoir boire mon café seule et de me baigner au lever du jour dans la piscine de l’hôtel. Entre deux averses, la chaleur et l’humidité s’installent chaque jour de manière étouffante, seules quelques promenades dans la jungle nous offrent un peu de fraîcheur et de dépaysement, à la rencontre des singes hurleurs et des moustiques dévorants !
La vie de Shelter Bay nous comble tant nous rencontrons de personnes sympathiques et diverses, dont Eric un français qui travaille sur la construction d’un nouveau pont impressionnant qui reliera un jour …les deux bords de la baie…Il est généreux et passionné et nous faisons plus d’une fois la fête ensemble ou en compagnie d’autres navigateurs de passage. L’équipage entier américano-mexicain de « Uncruise Adventures » nous fait partager un peu de leur quotidien d’aventures en Alaska et en Amérique centrale…Et Rodrigo, un skipper chilien nous rejoint pour échanger sur les mœurs de son grand pays que nous comptons visiter bientôt. Des amitiés se forment et nous garderons un joli souvenir de tous ces moments notamment le soir de l’anniversaire d’Olivier qu’il n’est pas prêt d’oublier.
Jusque la veille de notre départ, quand Eric nous fait l’ultime surprise de nous rejoindre sur Takoumi pour déguster le verre de l’amitié avec une bouteille de vieux « Ron » Abuelo, l’excellent rhum de Panamá. Tout cela dans la spontanéité et pour le plaisir de partager, la vie chaleureuse de Shelter Bay nous à comblés d’amitiés nouvelles que j’espère préserver.
Fortement conseillée par de nombreux navigateurs et quelques amis, nous avions initialement choisi d’atterrir à Panamarina, une petite Marina 28 milles à l’est de l’entrée du Canal de Panamá et de la ville de Colón. Mais faute de place, ou de bonne volonté d’après mon expérience, nous avons fini par poser l’ancre à Baya Linton entre le village et une autre Marina à Puerto Linton.
C’est la « campagne » version forêt tropicale humide et nous retrouvons avec plaisir des paysages qui nous rappellent la Guadeloupe – les toucans et les singes hurleurs en plus ! Nous passerons une semaine agréable dans cette région de la province de Colón, nichée entre îlots, mangrove et sommets éloignée de tout.
Il s’agit tout d’abord de rentrer officiellement au Panama, procédure aléatoire si l’on en croît divers plaisanciers. L’officiel solitaire des autorités maritimes du préfabriqué de Puerto Linton nous demande – d’entrée – de payer 180 dollars « cash » de « Permiso de navegación » annuel pour Takoumi. Seulement voilà : nous n’avons que 130 dollars en poche et la première banque est à plus d’une heure de route – en bus coloré local qui ne passe plus cet après-midi…Qu’à cela ne tienne, l’officiel demande au gardien de sécurité de nous emmener – pour 20 dollars…- au village le plus proche, Portobello retirer de l’argent à la supérette chinoise. En fait, toutes les supérettes sont tenues par des chinois au Panama et ceux-ci profitent de l’absence de banques pour nous sur-facturer le dollar sur nos visas avec une commission de 12% ! Pour le sourire et l’amabilité ce doit être plus cher…
Évidemment, concernant l’immigration que nous devons saluer dans les 72h, nous devrons revenir un autre jour à Portobello : en effet, le bureau qui s’y trouve couplé à l’office du tourisme est fermé et n’ouvre que le lendemain – ou le surlendemain, l’officiel nous prévient que c’est parfois…aléatoire!
De retour à Puerto Linton nous découvrons une Marina ouverte mais clairement en chantier. Il y a deux pontons assez fréquentés, une station service, une grue toute neuve et heureusement pour nous, The bitter end » un bar à flot (et non bar à flotte) qui vient d’ouvrir le mois dernier. Malheureusement cet endroit convivial tenu par un italien et une péruvienne américaine d’origine philippine je crois, fermera avant notre départ pour mauvaise relation avec le manager de la Marina…Nous profitons de notre situation géographique assez centrale dans la baie pour visiter les deux autres endroits intéressants du coin : Panamarina et le village de Puerto Lindo.
Que dire de Panamarina : eh bien, ce trou dans la mangrove développé par un couple Français est bien protégé mais difficile d’accès. Le restaurant est un peu cher mais agréable et les grillades excellentes. Le chantier paraît être le délire enfantin de son gérant qui propose de sortir les bateaux avec ce qui ressemble à un tracteur trafiqué…Sa compagne gère le « parc » de bateaux à la tête du client selon l’humeur et ne m’a pas inspirée totale confiance, d’ailleurs nous n’avons jamais réussi à convenir d’une place durant et après notre séjour à Linton. Ce qui n’était je l’avoue pas pour me déplaire parce que l’endroit est protégé certes, mais très humide et accueille plus de moustiques que d’humains ! Pour résumer, expérience en demi-teinte mais inachevée puisque nous n’y sommes allés qu’une paire de fois en touristes pour y déjeuner et laver notre linge.
C’est finalement le village de Linton qui m’a le plus séduite. Facile d’accès en annexe sur le petit ponton du bar restaurant de Hans et de sa famille. C’est ici que nous avons pu remplir nos bonbonnes de gaz et rencontré nos deux bateaux voisins du mouillage : un américain, un nouveau-zélandais et un Sud africain avec qui nous passions pas mal de temps à partager nos expériences et refaire le monde. Rencontres insolites et qui me passionnent : l’un navigue en solitaire depuis l’Angleterre, l’autre voyage à bord et vit « sur la route » depuis trois ans, le troisième embarque des équipiers. Nous sympathisons également avec Marteen, le jeune fils de Hans qui nous parle de sa vie à Linton, ses études et ses aspirations. Plus loin sur le rivage nous rencontrons un autre jeune homme aventurier, Thomas , au club de plongée café wifi tenu par des turques francophones avares en amabilités. Il a acheté une moto à New York et à déjà parcouru le chemin jusqu’au Panamá. Il souhaite visiter l’Amérique du Sud comme nous, mais sa prochaine étape est compliquée parce qu’il n’y a pas de route entre la Colombie et le Panamá…Lorsque nous l’avons quitté il envisageait de vendre sa moto américaine pour acquérir un triporteur colombien. Nous avons hâte de découvrir la suite de son périple!
En parallèle de notre vie sociale intense nous faisons de belles ballades en bus local pour rejoindre Portobello et en annexe pour apercevoir les singes de l’île Linton, traverser un long tunnel de mangrove et nous baigner sur les coraux de l’îlot privé en face du bateau.
Chaque nuit nous essuyons les orages, même au mouillage, l’un particulièrement violent qui semble avoir foudroyé trois voiliers de notre voisinage. Nous discutons beaucoup de la suite de notre voyage, le temps se détériorant nettement en ce début de saison humide.
Que faire ? : visiter l’archipel phare de la région, les San Blas à l’est ou passer le Canal pour rejoindre le Pacifique ? Nous sommes indécis à ce stade et un peu démotivés par le mauvais temps pour visiter des îles quand bien même magnifiques…nous décidons plutôt de rejoindre « la ville » de Colón en face de laquelle nous savons qu’une Marina accueille les bateaux qui se préparent à traverser le Canal de Panamá : en route pour Shelter Bay !
Nous sommes si heureux de quitter l’environnement désolé de la Marina que nous partons tôt, sans autre renseignement que celui de nous rendre au terminal de bus Viazul d’où partent les bus « mixtes » pour Viñales. Nous embrassons même l’opportunité de vadrouiller s’il le faut, n’ayant pas consulté les horaires, ou réservé de billet en ligne, ni même prévu d’hébergement à l’arrivée.
Pourquoi « mixte », eh bien parce qu’Il existe 3 réseaux distincts d’autobus à Cuba, du plus abordable au plus cher certainement climatisé : le bus réservé aux Cubains, les Viazul qui acceptent les touristes et le bus touristique dont j’oublie le nom – mais visible devant tous les hôtels et « resorts » du pays. Optimistes, nous arrivons au terminal et nous mettons dans la queue prévue pour les personnes sans billet. Avant-derniers dans la file au terme d’une longue attente, la gentille dame du guichet nous explique qu’elle ne commence à vendre les billets pour Viñales qu’une demi-heure plus tard…C’est le dernier bus pour nous y rendre aujourd’hui. Nous convenons donc de revenir et profitons de ce temps libre pour acheter de l’eau, le voyage durant près de quatre heures…
Pendant notre courte absence, une nouvelle file s’est construite autour de la gentille dame…Nous ne sommes ni pressés, ni resquilleurs donc nous y mettons naturellement à l’indienne à présent en…septième position. Mais durant l’attente les personnes autour de nous s’énervent, critiquent et ne comprennent pas…Il suffit pourtant d’observer : la gentille dame maintenant courageuse, traite les demandes de personnes qui paraissent nous passer devant, parce qu’elles ont réservé leur place à l’avance ou sont là pour acheter un billet pour un autre jour. C’est logique et j’avoue avoir compati avec l’officielle en charge et critiqué pour ma part nos voisins impatients…à force d’essayer de leur expliquer, et pour finir leur demander simplement de réfléchir??? Ils ont été encore plus surpris lorsque la gentille dame est sortie de son dominant guichet pour leur dire que nous étions les premiers dans la file – et nous y replacer ! Elle se souvenait de nous et il me semble que les Cubains ont un sens très prononcé du respect et de l’égalité. Pour finir, il ne restait plus que quelques places dans le très attendu bus et c’est grâce à son intervention que nous avons pu le prendre ! Le voyage fut long mais bien plus rapide qu’en voilier .
Arrivés à Viñales en fin d’après-midi, il ne nous est pas difficile de trouver un hébergement : nous avons un comité d’accueil constitué de femmes proposant leur maison – leur » casa particular « aux touristes tout frais tombés de l’autobus. L’insistance d’Odalys, qui va jusqu’à nous poursuivre autour de la place de l’Eglise à cette occasion, aura raison de nous et nous voilà partis à travers le village au pas de course derrière elle pour découvrir la chambre qu’elle nous a joliment préparée. Sa maison est typique et semée de passages et de recoins, très ouverte et offrant une vue magnifique de la région. Nous avons de la chance !
Nous découvrons alors le village de Viñales aux abords d’une vallée bordée de montagnes verdoyantes et nous y reposerons au calme de la campagne malgré l’intensité du tourisme. Toute sorte de véhicule y circule du camion des années 60 à la carriole de jockey que nous ne nous lassons pas de regarder passer d’une des nombreuses terrasses près du marché artisanal. Celui-ci me ravit parce qu’enfin, je trouve de l’artisanat local – enfin « Cubain » et non pas Thaïlandais – ce qui me manque beaucoup depuis le début de notre voyage. Et d’une manière générale il me paraît que les Cubains travaillent toute sorte de matériaux avec labeur et précision et en particulier le bois que nous observons dans les nombreux restaurants dont il constitue le mobilier de grande qualité.
Nous dînons chez Odalys, seuls sur le perron en bois face aux montagnes majestueuses – servis par Magali avec qui nous discutons de notre aventure. Son grand-père était marin si bien qu’au petit matin avant notre départ, elle insiste pour nous offrir un tableau de la Vierge, patronne de Cuba qui nous protégera au cours de nos navigations.
C’est ainsi que le je promène de large en long la Vierge imposante qui dépasse de mon sac à dos dans le village jusqu’à la muraille préhistorique que nous décidons de visiter, boudant les ballades à cheval organisées dans la vallée. Bon, la muraille préhistorique…date de…1960 environ et se révèle n’être qu’une fresque impressionnante à même la pierre retraçant l’évolution de façon naïve et colorée. Un peu déçus, nous entamons le sentier jusqu’au sommet, le « mirador » mais rebroussons rapidement chemin pour ne pas y risquer une ou deux jambes cassée!
Il est donc temps de repartir ce qui n’a rien d’évident après le départ du dernier bus pour La Havane…Nous convenons avec un premier taxi d’effectuer le trajet en Taxi Collectivo pour réduire les frais. Celui-ci nous donne rendez-vous après le déjeuner et se met à la recherche d’autres touristes pour partager notre course – nous ne reverrons jamais ce bon monsieur malheureusement ! Nous rencontrons ensuite Alex, un intermédiaire – plan un peu foireux – qui nous promet d’honorer le second rendez-vous sur la place de l’église quelque demie-heure plus tard. Le taxi – un combi Wolsvagen – lui est présent, mais là ce sont les autres touristes pourtant engagés qui nous font faux-bond !? Nous finirons par négocier avec notre conducteur un trajet qui se finira directement à la Marina au lieu de La Havane – pratique pour nous – et en compagnie de plein d’autres voyageurs Cubains recueillis sous les ponts de l’autoroute en chemin. Eux profitent ainsi du service de transport collectif local, celui-ci étant organisé et prévu, qu’ils paient 2 euros pendant notre trajet à 40….Cette méthode de déplacement à Cuba est signalée par une pastille bleue sur le pare-brise de la plupart des voitures dont la majorité sont des taxis, qui s’engagent à s’arrêter un peu au hasard des croisements où patientent de petits voire grands groupes de personnes.
Enfin de retour au bateau, nous sommes immédiatement invités à bord du bateau de nos nouveaux voisins américains, tous deux retraités de l’industrie pétrolière que j’ai un peu côtoyée quand je développais des formations. Nous échangeons notre vision de l’évolution certaine de Cuba, discussion intéressante mais à laquelle je coupe court lorsque je sens les limites de cet échange à l’évocation d’un développement lié uniquement aux valeurs « Business » américaines. Fort de notre expérience, Olivier et moi défendons les valeurs cubaines que nous croyons plus complexes et humaines et leur intérêt n’est certes pas de tout vendre aux nombreux investisseurs qui s’annoncent très prochainement sur cette île encore très sauvage et préservée.
[note de l’autre voyageur : ] Pour être plus explicite, l’ange capitaliste considère les nationalisations issues de la révolution comme un vol manifeste perpétré par un voisin belliqueux et malhonnête. Pour ma part, je me demande bien comment aurait pu réagir autrement un gouvernement socialiste, soucieux de son indépendance et de ses valeurs (quelles qu’elles soient) face à un voisin gargantuesque, véritable ogre dévoreur de culture et « Bully » continental farouchement déterminé à lui pourrir la vie ? [fin de là remarque engagée et anti-impérialiste]
Nous sympathisons plus naturellement avec nos autres voisins Québécois Maurice et Bernadette sur Romanichel avec qui nous tentons de résoudre les problèmes de « pouvoir » – alias électricité chez nous – en panne sur tout le ponton. Il paraît qu’on y est pour quelque chose car le pouvoir s’arrête dès que nous revenons à bord. L’énigme restera entière et si nous n’avons pas le temps de partager un apéritif avec nos voisins, rendez-vous est pris dans un prochain port dans l’espoir que nos chemins coïncident à nouveau à l’avenir.
En attendant la vie de la marina Hemingway reprend vite son cours, linge, avitaillement et préparation des prochaines étapes autour de l’île que nous contournerons par l’ouest. Le départ s’accompagne de longues formalités courtoises comme à notre arrivée, suivies malheureusement d’une fâcheuse rafale de travers repoussant puissamment Takoumi sur le ponton officiel en béton, dont il porte désormais les stigmates…
La navigation au sud de Key West – une fois n’est pas coutume – s’est transformée en programme de lavage avec maxi-essorage, mais voilà…nous sommes arrivés à Cuba! Et nous avons adoré cette île, ce pays…
D’entrée les longues « Formalités » s’avèrent courtoises et bien organisées au ponton des officiels de la Marina Hemingway : mise sous scellé du téléphone satellite, visite du médecin thermomètre en main – un peu courbaturés, sous un soleil plomb et en manque de sommeil, nous craignons le résultat – mais n’affichons que 36 et quelque, nous sommes en grande forme dis-donc ! Bien plus tard dans la journée nous rencontrons l’un des 4 commandants du port pour signer un contrat – étrangement digne d’une entreprise américaine -et l’agriculture qui scrute scrupuleusement nos vivres : très bonne nouvelle : nous pouvons garder notre bacon parce qu’ils tolèrent depuis peu, une quantité raisonnable d’aliments frais à bord – du moment qu’ils ne quittent pas le bateau durant notre séjour…Rien d’illogique jusque-là et la question récurrente de la bicyclette s’explique en fin de compte, par la crainte des parasites incrustés dans les pneus!
Nous rencontrons alors Jonas, le gardien de sécurité du ponton avec qui nous entamons notre compréhension de « comment ça marche à Cuba? « . Il travaille 12 h par jour pour 26 CUC par mois (euros ou dollars c’est presque pareil). Bien qu’omniprésent, Jonas nous organise la possibilité de rejoindre La Havane dès le lendemain. Malheureusement la Marina s’avère un peu désuète, sale, et mal équipée, loin de tout et à 50 dollars aller-retour de La Havane…pas très commode pour nous malgré le sympathique snack ouvert 24 heures sur 24. Et enfin, à Cuba un shipchandler est en fait une supérette très faiblement approvisionnée.
Le CUC est la monnaie touristique ici, et ne se retire que dans les banques des grandes villes. Si bien qu’il est plus facile de l’échanger dans un hôtel ou une marina, même s’il coûte relativement cher – le plus souvent contre des dollars avec une commission de 13% ! Peu d’endroits acceptent les euros et nous n’en n’avons plus de toutes façons. Nous achetons donc quelques CUC à la Marina avant de nous rendre à La Havane où nous pourrons retirer des CUC par carte visa, dans la rue Obispo où se concentrent les banques. Nous mettrons un certain temps pour comprendre que chaque distributeur ne délivre qu’une coupure spécifique de billet – de 5 à 20 CUC selon….
Le Vieux Havana à mi-chemin restauré promet d’être une des plus jolies villes que j’aurai eu le privilège de visiter. Il y a des travaux en cours partout mais l’ensemble a beaucoup de charme et l’ambiance y est unique.
La moindre petite échoppe résonne de tonalités de salsa ou de tubes des années ´80 orchestrées par les nombreux groupes locaux… Quelle ambiance ! En prime, les Cubains sont chaleureux, curieux, et cultivés.
Au détour du port nous découvrons les Centres d’artisans et le système de cartes internet centralisé par l’entreprise – que nous imaginons gouvernementale – Etecsa.
En fait nous en prenons plein les yeux tout au long de la journée en observant nombre de systèmes cubains bien particuliers : les files d’attente pour la distribution de denrées alimentaires, les bus, les ateliers de couture centralisés, les stops improvisés pour le système de covoiturage officiel….
Nous sommes presque allés au musée de la Révolution…mais nous avons préféré continuer de nous imprégner de la ville – jusqu’aux portes de Chinatown : très différent de ce que nous attendions – puisqu’il n’y a pas de publicité ou d’enseigne ou de marketing, nous n’y avons vu aucun restaurant et quasiment aucun asiatique…
Et au terme de cette belle découverte nous sommes rentrés en négociant une Chevrolet Impala au fonctionnement chaotique.
De retour au bateau, nous allons au Supermercado ayant besoin de frais mais il se résume à une allée pour les pâtes, un rayon chips et l’autre pour la bière et le rhum. Le boucher à côté vend du jambon cuit d’Espagne de la marque Bravo, du fromage indescriptible…très mauvais et deux produits surgelés. Il y a des vendeurs ambulants dans le village voisin qui proposent légumes, fruits, poulet, porc mais pas grand chose, et il faut les consommer tout de suite. Le lait, le beurre, les œufs se trouvent difficilement voire pas du tout par ailleurs, ou nous imaginons, en se débrouillant…Une partie des denrées sont distribuées aux familles Cubaines mais ne leur permettent de se nourrir qu’une semaine par mois à l’heure actuelle d’une économie moyenne. Mais comme nous le dira quelqu’un plus tard, les cubains ont de la tranquillité dans un environnement non luxueux mais qui n’affiche pas de richesse à laquelle l’un souhaite accéder. J’ajouterai la bienveillance de ces êtres encore solidaires qui vivent simplement voire durement, et dépendent naturellement des uns et des autres dans une société encore dans l’échange et l’entraide plutôt que dans l’esprit de possession personnelle. Ils n’ont guère le choix et ce qui m’a paru leur manquer le plus est la possibilité de voyager, de quitter cette île pourtant très curieuse et avertie des actualités du reste du monde. Dans chaque îlet ou bourgade l’on nous a parlé de notre présidentielle imminente – ignorée par quasiment toutes nos rencontres en Floride…
Mais revenons à nos moutons….la cambuse un peu vide, nous allons dîner au restaurant de la Marina, pas fameux mais correct – inabordable pour les Cubains. Et lorsque nous commençons à danser en plein air à la discothèque d’à côté, nous sommes invités par un groupe de jeunes plutôt curieux, à participer à leur danse de groupe…Nous ne saurons jamais de quoi il s’agissait mais nous sommes partis courtoisement très vite après que la plus jeune fille sexy du groupe ait pris Olivier à part en lui suggérant que nous nous re-localisions dans un bungalow sur la plage en leur compagnie…
Le lendemain, après de multiples tentatives de location de voiture, sans succès, nous nous sentons un peu coincés dans cette Marina, malgré toutes les rencontres intéressantes de voisins navigateurs . Dont Léna, sympathique aventurière suédoise qui souhaite naviguer en Antarctique, qui va nous conseiller sur le programme des jours qui suivent. C’est décidé, demain nous irons à Vignales dans la montagne !
Suite à ces quelques jours de vraie galère : moteur en panne et mouillage très chahuté qui nous vaudra nombre de tours complets et un réveil nocturne voisin craignant la collision…nous avons changé de mouillage – grâce à Matthew et à Mark rencontrés au très accueillant Key West Bite restaurant. Qui plus est, on annonce vent fort samedi donc nous avons contourné Flemming Key jusqu’au Mooring Field de la City Marina de Garisson Bite, bien plus calme et dans le sens du vent (et non du courant…)
Bon, le trajet en bus nous a pris toute la journée pour nous présenter à la Marina et récupérer les pièces du hors-bord (Mercury) chez Murray’s Marine a Stock Island. Nous avons découvert une autre partie de la ville, plus calme, plus locale et somme-toute apaisante durant le reste de notre séjour.
Le principal, l’objet de notre attente : le carburateur remplacé notre moteur d’annexe ronronne comme neuf! (Ndla: Mercury:4 ; Olivier:300, victoire finale) Nous avons fait nos courses chez Faustos – super adresse – en vue du départ pour Cuba maintenant prévu mardi…décalé depuis à mercredi à cause des orages…
Nous ne pensons pas avoir de wifi à Cuba donc profitons de ces dernières connections pour vous embrasser – les États-Unis c’est fini – et rendez-vous à Cuba ou au Panama début Mai, prochaine étape de notre route.
Arriver aux Etats-Unis à la barre de mon propre voilier est pour moi un grand moment de la vie. Je ne saisis pas l’intime explication de cette évidence, à l’approche du chenal de Fort Pierce au nord de la Floride mais, j’ai des fourmis dans le ventre, et suis toute impressionnée, impatiente de toucher cette terre que je connais si bien depuis ma tendre enfance. Et lorsqu’au beau milieu du chenal parsemé de pêcheurs dans un courant non négligeable le CBP – Customs and Border Protection nous aborde en route, je leur fais même part de mon exaltation en réalisant je crois, tardivement, l’ampleur du chemin que nous avons parcouru !
La procédure du contrôle est assez rigolote : deux hommes montent à bord et nous demandent de garder notre vitesse, de ne plus rentrer dans le bateau et de ne pas nous parler en Français pendant leur visite – petite blague de l’officiel : pour que je ne dise pas à mon mari de l’agresser sans qu’il ne comprenne qu’il est en danger… Ensuite l’un nous surveille et l’autre entre dans le bateau, et nous explique en ressortant qu’il cherche « Drugs and Aliens » – des drogues et des extraterrestres somme-toute notamment des Bahamas très touchés par le récent cyclone Matthews. Je suis toujours d’excellente humeur et plaisante même avec l’officiel en lui demandant s’il en a trouvés des ET … ce qui le fait sourire heureusement!
L’épisode terminé, nous avançons un tout petit mille dans les ICW – les Intercoastal waterways c’est-à-dire le Indian River qui longe la côte est des Etats-Unis par l’intérieur, à l’abri de l’océan. Le chenal de la Marina s’avère très étroit, long et peu profond, Takoumi talonne une paire de fois dans la vase lors de ma manœuvre de port! Mais voilà, nous sommes arrivés place D16 à HarbourTown Marina, Fort Pierce, FL USA.
Nous avons vite loué une voiture – et failli nous retrouver avec un grand van – pour aller rejoindre la famille en Caroline du Nord : cette première partie du séjour américain nous fait découvrir Wilmington, voir la neige (si si!?) et surtout profiter chaleureusement de la famille Segura Burg, mon frère Cedric, Otilia, leurs cinq enfants et mon père qui est de passage. Nous avons le temps de nous rhabiller dans les quasi-outlets, et de nous équiper d’une belle nouvelle annexe – commandée sur Amazon en fin de compte. L’accueil est formidable et nous avons l’impression étrange d’être en vacances à terre, jouissant de lits confortables, de repas copieux et de douches d’eau douce quotidiennes….c’est le comble pour vous, je m’en doute mais nous vous raconterons plus tard combien la reprise a été difficile au terme de ce mois de relâche….
Cédric m’apprend à faire du pain :
La neige !!!!
L’anniversaire de petit Cédric et Adela au Gymnase !
Même à terre, Olivier ne s’arrête pas de bricoler – l’aspirateur est en panne !
Pour l’heure, il est malheureusement temps de quitter le cocon familial et nous en profitons pour faire un mini road-trip en nous arrêtant à Savannah et Saint Augustine fiefs du sud et de la Géorgie et plus anciennes villes des États-Unis. Nous célébrons notre second anniversaire de mariage à Savannah que nous trouvons magnifique parsemée de beaux édifices anciens, fontaines – vertes à l’occasion de la St Patrick – statues et de places harmonieusement arborées.
(Note De l’Autre Auteur : Savannah est effectivement une excellente étape de notre road trip. Nous avons toujours été intrigué par cette ville dont le nom nous plait tant et dont nous croyons nous souvenir qu’elle accueille le fameux « Domaine de Tara », inexpugnable résidence de Scarlett O’Hara … Toutefois, la seule référence cinématographique à la ville dont nous avons vent est le banc de « Forest Gump » ! … Toujours est-il que l’hôtel repéré par ma belle sœur Otilia, qui m’a plus qu’encouragé à y faire étape malgré un tarif prohibitif, est particulièrement bien situé, en plein cœur historique de la ville, à portée de marche du front de mer et de ses cafés/restaurants/bar-à-huîtres. Nous dînons d’ailleurs dans une taverne à deux pas de l’hôtel, évitant sans le savoir, le restaurant guindé attenant pour nous retrouver dans l’ambiance chaleureuse d’un bar en sous-sol où les clients avinés chantent pour accompagner, avec plus ou moins de bonheur, la pianiste live. )
Le lendemain nous dormons dans un motel en face le l’ICW, dînons italien chez une grecque et dégustons le bacon and eggs and pancakes dans un Diner à Saint Augustine, dont les nombreuses galeries et petites allées – moins enchanteresses qu’à Savannah – nous promènent agréablement.
Enfin, c’est la Daytona Bike Week sur le chemin, alors nous nous arrêtons face aux défilés de motos en écoutant les concerts de Country Music – ce sont surtout des Harleys Davidsons mais il y a aussi quelques excentricités… (note de l’autre co- capitaine: me suis loupé pour le Bol au Castelet, j’ai un peu foiré le Faron du moto tour, mais là … j’ai repris de l’avance … dédicace pour mon Guigui 😉 )
Pendant le voyage de retour :
De retour à Fort Pierce, c’est le Seafood festival en bord de l’ICW. Nous avons vu qu’un apéritif s’organisait à la Marina alors nous nous y rendons en fin d’après-midi à 17h30 avec du vin et du fromage en bons Français…pour nous rendre compte que les américains sont déjà en train de dîner : Chicken et patato salad en quantités sont à notre appréciation … Notre social ne marche pas très bien pendant ce début de soirée aussi, déçus de rentrer au bateau, nous nous joignons aux voisins qui discutent sur notre ponton. Ils attendent le décollage de la fusée de Cap Canaveral, que nous verrons ensemble en buvant un délicieux Rhum de Nassau.
Ponton D – rocket launch !!!!
Toujours véhiculés, nous repartons à West Palm Beach au sud passer un court séjour chez Bill et Sharon, les père et belle-mère de mon beau-frère Andy (vous suivez j’espère :), et profitons une dernière fois de l’hospitalité et la générosité de nos hôtes qui nous présentent leurs bons amis également passionnés par la voile. Je ne me lasse pas de succulents « filet steaks » et de petits déjeuners complets à l’Américaine!
Par la suite, nous avons plus que sympathisé avec Laura, Susan, Vince et Eldon en réitérant les réunions du ponton D tous les deux soirs. Laura et Susan m’ont fait découvrir le marché et les artisans du centre historique de Fort Pierce. Vince m’a même réparé ma canne à pêche ! Et alors qu’Olivier et moi travaillons dur pour finir toutes les bricoles sur Takoumi avant notre départ, j’avoue avoir eu bien du mal à quitter cette Marina après la bienveillance familiale et à l’aube de ces nouvelles rencontres attachantes.
Voyager c’est aussi malheureusement partir sans cesse et parfois difficile…mais pour tout vous dire, ce qui nous y encourage est la conscience que nous prenons, à cette étape encore, de n’être toujours pas chez nous.
Passé l’orage, nous faisons route plein nord, au près, de Hatchett Bay jusqu’à Royal Island. Contre toute attente, nous ne subissons pas la pluie mais bien la houle résiduelle de ces derniers jours de vent soutenu… Si bien que nous ne sommes absolument pas sûrs, arrivés devant, de parvenir à franchir l’étroit « current cut » qui nous permet de sortir du grand banc de sable de l’île d’Eleuthera! Le suspense est à son comble et l’expérience s’avéra assez mémorable. Le Current cut est une passe profonde de seulement…30 m de large dans laquelle sévit un fort courant (jusqu’à 8 nœuds il paraît) qui s’aborde à l’étal – c’est à dire aux abords de la renverse d’une marée, lorsque le courant est le plus faible – et de préférence à marée haute. Compte tenu des horaires nous l’avons passée à marée basse, en retenant notre souffle…les remous à la sortie en sont d’autant plus impressionnants…on ne s’ennuie jamais aux Bahamas !
Après quoi nous arrivons dans un mouillage calme, mais calme….il n’y a rien ici, à part les ruines d’un ancien Club Med à jamais délaissé, mais nous y sommes à l’abri du vent d’ouest…
Le premier matin au mouillage, je tente ma chance et pêche 3 poissons en une seule prise – grâce à mon leurre de crevettes à 5 hameçons! Ce soir nous nous régalerons des 3 petits « Jackfish » d’après un d’habitant de l’île a qui j’ai montré les photos de mes victuailles.
La météo reste terne et le vent contraire alors un peu las de ce petit bout de terre, nous décidons tout de même d’entreprendre la route pour Spanish Wells, l’incontournable île de la région à quelques milles de là. Seulement voilà : nous ne devions pas y aller à Spanish Wells – par manque de profondeur, aussi l’expédition consiste à sillonner les tâches blanches au GPS (plus profondes) en évitant les bleues (moins profondes) afin de nous en approcher le plus possible, dans l’idéal à moins d’un mille pour finir la route en dinghy….
On ne le dira jamais assez, naviguer dans les eaux turquoises des Bahamas est une belle formation et requiert une bonne dose de concentration pour une poignée de milles… Le temps de route est tout autre qu’ailleurs, et tu « serres souvent les fesses » comme dit Olivier ! Le moment de poser l’ancre est alors un instant de triomphe – dans 2,2 m d’eau à marée basse – 1,8 m affichés au sondeur, pour ceux qui suivent…Takoumi est bien seul aujourd’hui au milieu de cette étendue d’eau qui ressemble en réalité à un jacuzzi. La balade en dinghy est heureusement rapide dans le sens du courant et des vagues – aïe aïe aïe que je crains le retour!!!
Mais la découverte de Spanish Wells vaudra toute notre peine, cette île s’organise le long d’un bras de mer parsemé de bancs de sable et jonché de petits pontons, de toutes tailles d’embarcations de pêche et d’un joli yacht club sur pilotis. L’histoire de cette île nous rappelle un peu St Barth. La population est blanche et parle anglais avec un accent british « BBC » aux tonalités américaines et australiennes mélangées…accueillante et plutôt bon marché – pour les Bahamas bien sûr ! Nous nous promenons en évitant les golf carts qui circulent – à fond – sur la « nationale » et visitons supermarché et shipchandler- pour le plaisir plus que par nécessité 🙂 . C’est notre premier vrai ship aux Bahamas, si nous ne comptons pas le magasin de bricolage de Georgetown de Great Exuma…Ce n’est pas ici que nous changerons notre annexe qui , d’ailleurs mérite à présent une médaille…elle nous ramène au bateau à peine mouillés, contre les vagues et face au vent! Et nous pouvons vite rejoindre notre calme mouillage de Royal Island pour la nuit.
Le lendemain nous organisons notre dernière expédition avant de quitter Eleuthera pour les Berry islands, dernière étape avant la Floride. Il s’agit de rencontrer les cochons sur Meaks Peak et la promenade est revigorante. Et entre nous, il n’y a pas de plaisir plus grand que de se baigner seule, au bord d’une grande plage qui semble n’être qu’à nous…
Départ pour Berry Islands à 17h pour 80 miles. Le vent n’est plus contraire, en fait il n’est plus du tout…donc ce sera au moteur ce que nous nous rappelons n’avoir fait que deux fois depuis que nous sommes de ce côté de l’Atlantique. Je me demande souvent si la Méditerranée ne nous paraîtra pas bien capricieuse, et la terre un peu trop ferme au-delà de cette belle aventure…
A l’heure où tu dormiras, je veillerai en mer. J’écouterai les vagues danser et parfois nous chambouler. Les drisses résonner et le mât trembler. La coque se déformer et le safran résister. Je surveillerai les nuages qui sont comme de mauvais présages, les verrai s’avancer et me dépêcherai d’enrouler. Et cérémonieusement je grimperai sur les sièges du cockpit pour scruter l’horizon à la va-vite.
À l’heure où tu dormiras je prendrai un café pour rester éveillée. À la surface et sous la voûte de la terre, la houle, les vagues et le vent seront mes seuls compagnons de route. Je brancherai le radar pour voir les grains se former et, un peu tard enfilerai ma veste de quart. Je repérerai les faibles lumières des cargos que je vais croiser et hésiterai longtemps à m’en dévier. Je regarderai la tâche blanche des bateaux de croisière avancer et grossir comme un lopin de terre. La barre ne cessera de tourner pilotée bruyamment de chaque côté, j’entendrai les rafales à mesure que l’hélice accélère. Et cérémonieusement je calculerai la distance qu’il me reste et surveillerai ma vitesse.
À l’heure où tu dormiras, je baillerai en regardant la mer et le scintillement du plancton sur les flancs du bateau. J’attendrai les dauphins en vain pour qu’ils me dessinent leur chemin. J’observerai les étoiles et la grande ourse tourner au fil de la nuit quand la lune s’éteindra me laissant seule dans le noir. À l’heure où tu dormiras, je ressentirai et t’écrirai ces lignes alors si tu te réveilles, aies une petite pensée pour moi qui suis à la veille.
La République Dominicaine « c’est le Far West » nous a-t-on dit au cours de la semaine que nous avons passée à Samana…Nous n’avons pas compris tout de suite, et pourtant, nous nous en sommes enfuis, un peu partagés entre le sentiment d’être accueillis chaleureusement à la mode latine, et malmenés par une bande de cowboys…
Samana est une ville sympathique et idéale en taille pour les plaisanciers, et pourtant, nous n’y étions pas bien accueillis et ne pourrions la recommander. Pour commencer, en arrivant de Puerto Rico dans la baie du Port Santa Barbara (de Samana), nous n’avons vu aucun moyen d’ancrer et aucun autre plaisancier. Nous avons tourné et fini par prendre une bouée libre sur les conseils d’un bateau local – bouée que nous paierons évidemment assez cher.
Samana et le « Bridge to nowhere »
Dix minutes plus tard, 6 hommes plutôt costauds ont débarqué à bord de Takoumi – dont un seul armé en uniforme de militaire. En trois minutes et sans aucune présentations, ils m’ont assaillie de questions tout en grimpant à bord, me bousculant pour aller littéralement se vautrer dans mon cockpit! Heureusement que la lecture du guide que nous avions téléchargé nous y avait préparé ! Ca fait tout de même un peu peur sur le coup, mais nous sommes restés calmes et avons bien-entendu cédé à toutes leurs demandes avec le sourire – y compris d’être dédommagés pour leur déplacement : le fameux « propuesto » reviendra souvent, en particulier concernant tout ce qui a affaire au plaisancier! Bon, il y a un bon côté bien que la procédure soit désastreuse : nous venions de passer la nuit en mer, et ils nous ont autorisé à aller dormir plutôt que de nous rendre immédiatement au bureau de l’Immigration, repos bien apprécié !
Aussi, le lendemain nous avions repris des forces sans savoir qu’il nous en faudrait. Nous avons commençé par attacher notre dinghy – tout pourri peut-être mais méritant ces derniers mois – au « muelle » ou ponton du port. Mais nous ne sommes pas tranquilles : ce ponton dangereux est fait pour de grands bateaux, et ne nous permet pas de sécuriser ou cadenasser notre annexe. Les « officiels » de la veille nous ont pourtant vivement conseillé de ne surtout pas oublier de le cadenasser…En fin de compte, l’annexe ne sera ni volée ni abîmée… Quelqu’un de bienveillant l’aura même attachée par l’arrière pendant notre balade, ceci pour contrebalancer sa fâcheuse tendance – que vous connaissez – à se retourner! L’entretien avec la gentille dame de l’immigration s’est bien passé malgré la centaine de dollars que nous coûte la taxe gouvernementale.
Nous avons décidé d’être prudents le matin suivant, et d’oublier le hors-bord choisissant de ramer péniblement jusqu’au muelle… Notre dinghy est pitoyable mais il est fidèle! Prévoyants, nous avons demandé au « vigilante » – le garde de sécurité militaire – de le surveiller et de nous trouver un service de « taxi-boat » envisageant de dîner en ville un soir. C’est ainsi que nous avons rencontré Mingo avec qui nous avons sympathisé tout au long de la semaine. Il nous attendait sur le ponton à notre retour ce jour-là et ça tombait bien, puisque le vigilante était rentré chez lui, et que notre annexe était tout simplement crevée!
Bonne nouvelle pour Mingo dont la mission avait grossi d’un coup pour le reste de notre séjour…sans compter que quelques jours plus tard, en quittant le site de los Haites, une manœuvre notablement foireuse et mal préparée a propulsé notre annexe fraîchement réparée sur des moules saillantes du ponton d’accueil mal adapté…
Triplement crevée nous peinons encore à la faire durer…
A noter aussi de ces deux jours en baie de San Lorenzo que chaque mouvement du bateau doit faire l’objet d’une démarche administrative auprès de la commandancia pour obtenir une autorisation de circulation appelée « despacho » est qui n’est délivrée qu’une demi heure maximum avant l’appareillage… Autant dire que si la destination est belle, ces démarches gênent drastiquement un simple allez-retour d’une vingtaine de miles.
Une après-midi, nous avons confié à Mingo la mission de nous organiser un tour en bateau de pêche pour nous approcher des baleines. C’est alors le « far west » jusqu’au lendemain matin, notre capitaine change trois fois en 24 heures et à 6h30 du matin, heure du RDV nous l’attendons une bonne heure. Je me suis alors heurtée avec le responsable (introuvable au départ) et j’ai demandé un dédommagement pour inverser quelque peu les rôles… Les discussions ont duré 48 heures et nous n’avons obtenu qu’une maigre excuse de la part du prestataire. Alors… le plus important était les baleines et elles sont fabuleuses bien que difficiles à approcher, même en puissant bateau de pêche!
Le dernier jour a Samana, nous n’avions plus qu’à régler les formalités pour quitter la ville, l’inévitable despacho, nous connaissions donc la procédure – et tous les militaires de la Commandancia de Samana à ce stade. Même si nous avons été surpris de constater qu’un despacho de départ « sans retour » n’est remis qu’une fois à bord par le (ou les) représentant(s) de l’armée chargé(s) de nous raccompagner jusqu’au bateau…
Les choses auraient dû se passer simplement, mais au dernier moment, nous étions attendus sur le muelle par une autorité portuaire « surprise » pour nous piquer encore quelques dollars…Il s’agissait de payer le fait de nous être arrêtés dans ce port… en plus de la bouée, règle aléatoire et clairement remise en cause dans notre guide…
Heureusement que pour clore notre séjour, la douane, la cellule narcotique et les militaires de la Marina Oceanworld de Puerto Plata, notre comité d’arrivée et de départ, ont été courtois et respectueux, y compris pendant la fouille du bateau, et n’attendaient pas de propuesto, seulement 20 dollars pour un dernier despacho afin de pouvoir quitter l’île. Et malgré cette ultime expérience indolore, nous avons conclu que la jolie République Dominicaine n’est pas adaptée à la navigation du plaisancier – et qu’il vaut mieux la visiter par la terre.