Hautement symbolique, ce qui pour d’autres sont « les portes de la Méditerranée » sont pour nous « les portes de l’Atlantique ». Excitation et curiosité se réveillent quand nous franchissons le Détroit de Gibraltar.
La journée est fort belle et ensoleillée, mais fenêtre météo oblige et c’est contre vents et courants que nous entreprenons le mythique passage. Qu’à cela ne tienne, le moteur est de nouveau mis à contribution et cette très relative déception n’entache pas notre belle aventure ni n’entame notre bonne humeur.
C’est le long de la côte espagnole, bien à l’écart au nord des rails de cargos, qui ne sont finalement pas si nombreux, que nous empruntons le détroit, mais c’est à sa sortie que l’affaire se complique quand nous devons les croiser à la sortie du fameux DST (Dispositif de Séparation du Traffic) pour pointer au sud. Jusque tard dans la nuit, il nous semble rejouer nos meilleures parties de « Froggy la grenouille » (mais si souvenez-vous le jeux vidéo où le but est de faire traverser une autoroute encombrée à une grenouille anémique).
Une fois les cargos esquivés, c’est aux pêcheurs marocains de nous donner des sueurs froides. Oubliez mes commentaires sur les pêcheurs de Marbella, les marocains sont pires. Non suffisant d’êtres bien plus nombreux à perler la surface de l’eau de leur ridicule lumière, encore faut-il que certains naviguent tout feux éteints, ne se signalant qu’à l’aide d’un projecteur à main quand votre proximité se fait pressante. Le jeux se joue dans la nuit noire, empêchant de distinguer les mouvements de l’adversaire sous l’arbitrage des cargos qui eux aussi en fait jouent la même partie, mais pas exactement avec les mêmes armes.
Puisque nous parlons de nuit noire, je souhaite dénoncer une grande injustice… Celle que j’appelle « Quart sans lune et quart de lune ».
Manuela et moi nous sommes partagés les quart de nuit pour la semaine. 23h-3h pour moi, et 3h-7h pour elle, la nuit étant complétée par les quarts plus ou moins flottants de 7h-9h et 9h-11h. Cet honnête arrangement qui nous conviens à tous les deux ne tarde pas à présenter un défaut majeur: la lune se lève apres 3h en ce moment dans cette partie du monde. Du coup, c’est nuit noire pour moi systematiquement tous les soirs… Et j’ai en horreur de naviguer par nuit noire, en plus de la sensation étrange de fendre les flots avec un bandeau sur les yeux, je ressens une grande frustration a ne pas distinguer les vagues car comme beaucoup, une de mes grandes distraction est de les contempler à loisir.
Ceci dit, Cette lune est déclinante et les pendules sont remises à l’heure pour la dernière nuit, plus de lune pour personne… J’aurais préféré une résolution diamétralement opposée avec un « soleil de minuit » pour tout le monde.
Quand on choisis une fenêtre météo pour éviter d’être bousculé, le risque est de se retrouver englué dans la pétole. Nous n’y aurons pas échappés en ce début de traversée qui verra les premières 36 heures réalisées au moteur avant qu’une alternance voile-moteur se mette en place. Nous profitons de l’occasion pour s’éloigner de la côte et échapper aux hordes de pêcheurs marocains. Nous ne disputons plus l’espace qu’à quelques cargos de plus en plus rares et deux ou trois voiliers.
Dans ce contexte relativement calme, capitaine Manuela prends du galon et j’ai la surprise a l’heure du réveil de la retrouver pendue à la VHF pour négocier avec un titanesque Tanker qui doit laisser son chemin à l’autre. Le professionnel est coopérant, Manue emporte la partie sans coup férir… Il se déroute à plus de deux mille de Takoumi.
Pour cette étapes loin des côtes, nous avons des visiteurs, jusqu’à 4 « moineaux » en même temps… A près de 60 miles des côtes (110 km environ), ces petites bestioles sont impressionnantes de venir jusqu’ici et en même temps, elles ressemblent a s’y méprendre à des piafs du jeux « Angry Birds » avec des « sourcils » froncés et une « expression » agressive donnée par la forme du visage.
Vous pouvez rechercher un intru dans chacune des 4 photos suivantes:
Les dauphins eux, sont de la partie aussi et nous croisons quotidiennement une bande ou l’autre après la tombée de la nuit.
Cette traversée était aussi l’occasion pour nous de penser à « La Traversée », la vraie la longue, et compliquée et nous échangeons régulièrement sur le sujet – de l’état du bateau, des voiles et comment améliorer nos manœuvres, la source ruineuse des données météo mais aussi de l’eau, de la nourriture, du gasoil, de l’essence, de la pêche (bredouille sur cette étape ?), des déchets, eh oui c’est problématique ainsi que l’humidité, l’ennemi no 1 du moment, et de la meilleure organisation de l’espace à bord ainsi que de la navigation… Concernant la nourriture par exemple,vivement la disponibilité de steaks en conserve car j’avoue que les filets de poisson finissent par tous se ressembler! Et ou diable allons nous bien pouvoir stocker 100 litres d’eau potable? Nous devenons créatifs quant aux déchets mais – quand même!? c’est fou la politique « terrienne » des multiples emballages « jetables » à tout va, non??
Et puis viens la dernière nuit qui, noire d’encre, nous réserve un bon vent et de belles vagues que nous ne pouvons que ressentir à l’aveugle.
Même si nous ne voyons pas les montagnes liquides qui nous rattrapent, l’élévation périodique de la poupe de Takoumi et les accélérations jusqu’à 9 nœuds semblent sans fin et nous confirment, si tant est qu’il soit possible de l’oublier qu’enfin, nous sommes en Atlantique.
Après cinq jours en mer, après avoir vu des dizaine de dauphins et d’étoiles filantes, couchers, levers de lune et de soleil quasi-quotidiens, au fur et à mesure que nous approchons de l’ile de Lanzarote ce matin, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine émotion et fierté d’avoir parcouru ce petit bout de chemin.