Après ces huit derniers mois d’exil volontaire dont une bonne moitié contre les éléments, une dizaine de pays visités et le double d’îles ou de lieux merveilleux, voilà plus d’une occasion que nous nous posons la véritable question : « Avons-nous vraiment l’enthousiasme et l’énergie pour rallier la Patagonie » ?.. En quittant Panamá City, forts du sentiment de sérénité retrouvé Olivier et moi nous rendons à l’évidence : nous n’irons pas cette fois dans le Pacifique avec notre bien-aimé Takoumi …
Ces huit derniers mois nous ont apporté toute notre réflexion en plus d’une expérience incroyable, de découvertes, de mer et de rencontres passionnantes. Mais lorsque nous faisons le bilan des critères que nous imposent ce voyage, nous nous rendons bien compte que la balance ne penche plus en faveur de la grande et difficile route du Pacifique Sud.
La saison humide et hivernale se sont imposées, les orages grondent malgré l’absence de vent et un courant contrarie la moitié du chemin. La fatigue s’est également installée à bord de Takoumi et de son équipage dont la motivation s’estompe face à la réalité de la distance qu’il nous reste à parcourir … la même que nous venons d’achever au bout de deux années …
Alors nos cœurs sont assez lourds et ont longtemps hésité à prendre cette décision mais elle est sans regrets. Nous savons que s’entêter à braver les éléments en se voilant la face quant à ses propres envies mène trop souvent à la catastrophe … le voyage de trop, celui qui incite à abandonner le navire précipitamment, sans regarder en arrière. Non, nous aimons trop naviguer pour nous entêter … Le plus important est de prendre du plaisir et de profiter … Et nous avons pleinement profité de ce beau voyage. Il est temps pour nous de changer alors que notre plaisir de naviguer est toujours intact.
Les idées claires et décision prise, une fois rentrés à Shelter Bay Marina, il ne nous reste plus qu’à organiser la mise à terre de Takoumi, une fois de plus immobilisé par la saison cyclonique en Caraïbe. Il nous attendra sagement calé, équipé d’un déshumidificateur pour les 5 prochains mois de pluies torrentielles. Pour notre part, nous prenons nos billets, bouclons nos valises et faisons nos adieux à nos nouveaux amis que nous espérons retrouver dès Octobre pour une rapide visite, et en Décembre pour un dernier appareillage.
À ce jour, nous sommes rentrés en France – encore – et repartirons finir notre voyage la saison prochaine – encore – pour une ultime destination que nous n’avons toujours pas choisie – encore …
Mais en vue d’emprunter d’autres chemins, en partie terrestres sans doute, et à terme de retrouver un pied à terre et de nouveaux projets, autant personnels que professionnels. Voilà, c’est fini …tout au moins … jusqu’au prochain périple qu’il nous appartiendra d’imaginer !
Au terme de cette croisière insolite à bord de Callipyge, nous nous installons au cœur de Panamá City dans l’appartement d’Ariel.
Très confortables mais exténués, plutôt sales et vidés de toute énergie touristique, nous nous y terrons 24 heures, juste pour profiter des douches, d’Internet et … dormir tout notre soûl avant de descendre découvrir le Casco Viejo, le vieux quartier rénové et incontournable de cette ville aux multiples facettes.
Nous n’allons pas plus loin que le coin de la rue pour commencer, au restaurant Casablanca qui propose un filet de bœuf aux champignons : il nous paraît prescrit dans notre état de fatigue physique, bien que notre moral soit au plus haut !
Nous ne sommes pas dépaysés très longtemps lorsque nous voyons tout l’équipage des catamarans rencontrés sur le lac Gatún débarquer sur la place ! Heureux de nos retrouvailles imprévues, nous formons une grande et belle tablée et passons une soirée festive en leur compagnie, nous remémorant l’épopée.
Enfin requinqués nous explorons le Casco Viejo le jour suivant, à la lumière du jour et admirons ses églises, ses ruelles, ses places arborées, ses cafés branchés, ses vues imprenables sur l’océan et sa magnifique Ambassade de France devant laquelle nous posons – pour notre cousine Marie qui connait bien cet endroit !
Panamá City est une vraie ville comme je les aime, moderne et antique au bord de l’océan, nous prenons vite nos marques en la découvrant en métro et à pied et en visitant tous les bars panoramiques de la vieille ville.
Les commerces de l’avenida central grouillent de magasins, souvent tenus par des chinois, de quelques grands supermarchés et de vendeurs de légumes assis près de ceux qui distribuent les tickets de la prochaine loterie dont les Panaméens raffolent.
L’avenida de Espana est parsemée de petits bouis-bouis et terrasses avant de rejoindre les luxueuses galeries commerciales du centre de la nouvelle ville, haute en néons colorés et en gratte-ciel imbriqués.
La ballade du bord de mer longe toutes sortes de complexes sportifs où les jeunes s’entraînent – au lieu de traîner – à la danse, aux majorettes, au foot ou au volley. Des vendeurs ambulants de jus de fruits frais les abreuvent tout du long, avant de rejoindre le marché aux poissons jonché d’un « hawker center » où déjeunent touristes et locaux mélangés.
J’admire les vieilles barques de pêcheurs qui sèchent encore de leur dernière sortie en mer.
Nous avions imaginé rentrer à Colón en retraversant le Canal à bord d’un autre bateau, mais, disons-le franchement, sur ce plan-là nous nous sommes encore dégonflés…et avons choisi de prolonger un peu de notre confort retrouvé par l’emprunt d’un moyen de transport le plus moderne qui soit : un « ouberre » dans le jargon Panaméen !
L’aventure du Canal de Panamá commence par un tableau de petites annonces … La procédure de passage exigeant 5 équipiers par bateau, nombreuses sont les propositions d’embarquement pour ce mythique passage.
Pour notre part, il s’agit de se lancer dans une opération d’apprentissage avant « notre » passage, histoire de maîtriser procédures et manœuvres. C’est aussi une manière de « faire le canal » dans le cas où nous renoncerions à y mener Takoumi.
Ainsi, à peine enregistré au bureau de la marina, nous nous précipitons sur les annonces pour en sélectionner une qui nous semble sympathique, elle est correctement rédigée, suffisamment informative, claire et travaillée pour nous assurer de la bonne volonté du jeune capitaine français dont la « bonne tête » transcende la photo d’identité qu’il a pris la peine d’y intégrer. Et puis surtout, c’est la première que nous voyons et nous nous arrêtons là.
Manuela vous en a déjà parlé dans l’épisode précédent. À l’heure d’aller postuler, un quiproquo nous amène à considérer une improbable embarcation d’acier fait maison au confort sommaire et à l’allure d’épave flottante. Au summum de l’excitation que nous suscite la « chasse à l’embarquement », cette découverte fait l’effet d’une douche froide et tempère sévèrement notre enthousiasme …
Dans le courant de l’après-midi, alors que nous soignons cette baisse de régime en terrasse du restaurant, nous hélons le capitaine recruteur reconnu sur photo pour enfin faire la connaissance d’Andréa, impétrant aventurier inspiré et inspirant à l’allure ravageuse et à la motivation contagieuse.
… Il faudra tout de même deux bonnes journées pour mettre fin à la méprise et apprendre que le bateau candidat au passage est celui d’en face … « Callipyge », fier quillard en aluminium de 36 pieds encombré mais décoré. Entre temps, nous aurons eu l’occasion de nous inquiéter plus d’une fois à l’évocation de son programme ambitieux compte tenu du bateau que nous avons aperçu. Nos réflexions personnelles sont d’ailleurs régulièrement ponctuées d’un laconique « il est gonflé quand même ! » … Et nous aussi !
Les quelques moments partagés avec Andréa avant l’embarquement (rencontres fortuites, déjeuners, apéritifs et dîners) sont mis à contribution pour faire connaissance avec cet ex-entrepreneur-paysagiste de l’île de Saint-Barthélémy. Son enthousiasme nous amène à penser qu’il parviendra à réaliser ses plans extraordinaires : il prévoit une traversée du Pacifique Panamá/Marquises en préambule à une année de dérive solitaire pris par les glaces de l’Antartique … Enfin, solitaire par défaut car de son propre aveu, il ne serait pas contre embarquer une compagne assoiffée d’Aventure … Soyons optimistes, si une relation survit à une première année en huis clos dans les conditions épouvantables des glaces australes, aucun doute n’est possible … c’est « la bonne » 😉
Toujours est-il que notre route commune avec Andréa débute par l’embarquement pour le passage du canal et la découverte de l’improbable équipage qu’il est parvenu à réunir en plus de vos serviteurs :
* Glen, notre doyen, marin professionnel américain, a le calme, la sagesse et la pertinence cultivés par une grande expérience de la mer. Il fera aussi preuve d’excellentes aptitudes à la sophrologie car Callipyge n’a vraiment rien à voir avec les yachts et maxi-yachts sur lesquels il a plutôt l’habitude d’officier … Nous découvrirons également avec amusement que nous avons une histoire commune : Alors que nous étions à Fort Pierce (ponton D) ce printemps, une copine de ponton insistait (lourdement) pour nous faire rencontrer un capitaine expérimenté (ponton E) ayant traversé le Canal de Panamá à plusieurs reprises … Alors que nous avions échappés à l’entrevue, c’est finalement sur le Canal, à bord de Callipyge que nous rencontrons Glen.
* Richard, dit « Rich », modèle photo par défaut, voyageur et aventurier par nature. Il a traîné sa frimousse de « Brad Pitt » de Tokyo à Cape Town. S’il aime bien la vie trépidante de Los Angeles, il apprécie bien plus les grands espaces naturels et la montagne où il pratique l’escalade. D’ailleurs, il n’est pas venu en bateau, il devait participer au convoyage du nouveau (mais pas neuf) catamaran du père d’un ami, mais comme on n’a pas toujours de la chance, il participe surtout à sa remise en état ! Co-équipier de dernière minute « parce qu’il en avait envie », il aura son heure de gloire lors de la « mission pizza ».
* Notre benjamine vénézuélienne, « Princessa » Angélica, « Cendrillon » du restaurant et pourtant titulaire d’un diplôme d’infirmière, profite de quelques jours de congés pour vivre le Canal comme une promenade exceptionnelle. Si je ne peux encore m’empêcher de voir Angelica au travers d’un œil paternaliste, Princessa me fera pleurer de rire à plus d’une occasion et Cendrillon m’inspirera du respect … si ce n’est pour les réalisations, au moins pour l’engagement. Pour ne rien gâcher, Angelica est aussi avenante que très bon public, ce qui nous sauvera la mise à tous quand nous nous apercevrons que le pilote du Canal se révélera être un bavard impénitent et infatigable.
Et c’est donc après un copieux déjeuner, en début d’un très bel après midi que l’hétéroclite équipage de Callipyge appareille pour l’Aventure du Canal ! La traversée du port Cristobal nous prend une bonne heure pour arriver aux « flats », zone de mouillage d’attente et de récupération de l’advisor (c’est le nom des pilotes officiels du Canal réservés aux embarcations de plaisances), que nous atteignons vers 14h30.
Notre jeune capitaine est un peu tendu au démarrage de cette importante étape, c’est compréhensible et dans l’excitation du moment nous lui pardonnons sans peine une arrivée « un peu » anticipée pour un rendez-vous prévu à 16h … derechef reporté à 16h30/17h par les officiels du Canal contactés par radio.
Nous passons donc l’après-midi à nous baigner, lézarder et bavarder, bières fraîches en main, sur le pont, dans le cockpit ou dans le carré. Les choses et les équipiers trouvent peu à peu leurs places et leurs marques. Nous commentons le programme qui s’offre à nous : premières écluses montantes en fin d’après-midi, nuit sur le lac Gatùn, réveil aux aurores pour parcourir le Canal et franchir les ultimes écluses descendantes menant à l’océan Pacifique … Une belle aventure bien organisée, bien planifiée et, normalement, sans surprises.
Un peu avant 16h, nous sommes rejoints au mouillage par un autre voilier avec lequel nous passerons les écluses de conserve. Il est plus grand que nous, propre comme un sou neuf, apparement bien protégé et sans doute bien équipé. Comme nous ne sommes pas jaloux, nous accueillons bien volontiers à notre bord l’équipier qui prétexte une baignade pour venir boire une petite bière avec nous 😉 Le « party boat » c’est bien le notre !
Au terme de l’attente, un gentil advisor rejoint l’équipage à … 17h30 … je suis tenté de pardonner les 1h30 d’attente bonus, mais dans ce cas, Andréa aurait autant aimé qu’il s’abstienne de nous faire forcer l’allure au moteur pour compenser un retard irrattrapable … sans compter que c’est à cette occasion qu’il nous confie ses doutes et inquiétudes concernant cette vaillante mécanique.
Toujours est-il que, grande allure ou non, nous n’atteignons la première écluse qu’à la tombée de la nuit. Ente temps, tous ce sont préparés au labeur, et j’ai même l’immense surprise de voir Cendrillon surgir du carré, motivée et équipée de chaussures de pont et de gants de voile … moi qui imaginais Princessa s’étant contentée d’un maillot de bain et d’une paire de lunettes de soleil … ça m’apprendra à juger trop vite …
Ordres pris, nous passerons les écluses à couple du grand voilier qui se chargera de la totalité des manœuvres. Si l’opération d’accouplement n’avait pas été aussi chaotique et désordonnée, nous en serions un peu chagrinés, mais au résultat des ordres contradictoires qui émanent des advisors à ce moment là, nous en prenons volontiers notre parti. La manœuvre est si désordonnée que je me souviens même répondre vertement à un ordre impossible qui, même après avoir été réitéré 3 fois, demeure impossible. Seule l’attention de Glen et son intervention salvatrice me permettent de tendre la garde dont j’ai la responsabilité.
Mais la nuit n’est pas la seule à nous envelopper d’un voile menaçant et les nuages s’amoncellent à la verticale de Callipyge pour finalement nous tomber sur la tête à l’entrée de l’ouvrage d’art dans lequel nous pénétrons en compagnie d’un gros porte conteneurs nous précédant, accueillis par des trombes d’eau. C’est ainsi que nous traversons cette première épreuve, trempés jusqu’aux os, spectateurs du calvaire des deux équipiers italiens en charge des amarres de pointe qui ne comprennent rien aux invectives hispanophones et toujours contradictoires des deux advisors traîtreusement retranchés bien à l’abri du luxueux voilier.
Au troisième et dernier sas, les italiens ont pris le coup demain et le quatrième aurait été parfait s’il y en avait eu un. Mais à cette heure tardive, le calme est revenu sur le lac Gatùn où nous nous déhalons paresseusement pour rejoindre les énormes bouées dédiées au mouillage nocturne. Après une courte soirée, dédiée à la pêche de l’unique poisson qui mordra à l’hameçon et au dîner, nous ne tardons pas à nous coucher, ni vraiment secs, ni vraiment confortables car la chaleur moite est revenue avant même le bateau amarré.
Le lendemain matin, dès potron-minet, l’équipage est debout, sur le pont équipé et surmotivé pour cette longue journée qui doit nous mener à l’océan Pacifique. L’excitation n’est pas redescendue d’un poil quand la pilotine (bateau des pilotes) daigne pointer son étrave avec quelques heures de retard (encore) … Et c’est tout à notre joie que nous l’observons s’approcher lentement, déposer le premier advisor sur le pont de notre voisin et … repartir sans même un mot, un geste ou quoi que ce soit à notre attention … et surtout en ne nous laissant pas notre advisor.
Déconcertés, nous attendons un signe du voilier voisin nous invitant à le suivre, mais lui aussi appareille dans l’indifférence et quitte le mouillage en nous laissant à notre solitaire perplexité.
Les minutes, puis les dizaines de minutes, s’égrènent dans le vide du lac Gatùn sans qu’aucun signe, officiel ou divin, ne vienne confirmer notre existence ou infirmer notre évidente transparence. Les appels radio répétés d’Andréa restent sans réponse, que ce soit aux officiels, aux cargos qui commencent à peupler le Canal ou même aux oiseaux … Il a tout essayé.
C’est grâce au téléphone de Glen et son forfait tout-terrain que nous avons une explication … À peine l’agent contacté, nous avons confirmation que nous ne sommes pas oubliés, mais « juste » reportés pour peine de mauvaise organisation … Ils n’ont pas d’advisor disponible aujourd’hui ! Je soupçonne qu’au moment où Andrea raccroche en concluant par un jovial « muchas gracias », tout le monde aimerait lui arracher le téléphone et faire passer un mauvais quart d’heure à l’oiseau de mauvaise augure.
Pour autant, les mines réjouies ont laissé place aux masques chagrins à l’aune de la perspective de rester prisonnier 24 heures durant. À ce moment précis où l’ambiance funambule menace de basculer du comique au tragique, j’entrevois le front soucieux de Glen et c’est la mimique catastrophée de « Princessa » qui me départ de ma propre expression résignée pour me rendre le sourire. Quelques dizaines de minutes plus tard, tous optent pour une bonne humeur teintée d’apathie …
C’est donc dans une ambiance bonne enfant que nous observons un crocodile paresseusement sillonner le lac … juste avant que, à nouveau, le ciel ne nous tombe sur la tête sous la forme d’un violent orage qu’un gros grain marin n’aurait pas renié. Ce dernier avançant sur nous tout aussi lentement que le crocodile, les plus téméraires d’entre nous en profitent pour sortir les savons et se préparer à bénéficier d’une « douche tahitienne » un peu plus agitée et tonique qu’à l’ordinaire.
L’ondée passée, tous reprennent le cours d’activités diverses. Qui la pêche (sans succès), qui des ballades en paddle (qui prendra son indépendance plus tard dans la journée) ou encore de plus ou moins longues explorations dans l’annexe instable et franchement pas rassurante (je rappelle ici que nous co-existons avec un croco).
Je retiens un autre moment drôlissime au sujet du déjeuner. Alors que le menu du jour se compose de poulet rôti froid en « buffet » self-service, Notre « Princessa », sans doute déterminée à faire payer notre capitaine sa propre frustration, s’exprime d’un ton si ferme qu’il n’admet ni retard ni objection : « I want some chicken » ! Et c’est dans la franche hilarité générale qu’elle ira se servir elle même 😉
En fin d’après-midi, jamais à court de velléités exploratoires, Rich lance l’impossible mission pizza et entraîne Angélica dans sa quête éperdue de junk food et de bières : Ils ont pour plan audacieux de rejoindre la route qui borde le lac, d’y faire du stop jusqu’au centre commercial et de revenir en taxi. « L’homme qui vit torse nu » en profite pour enfiler un t-shirt quand « Princessa » s’apprête d’une tenue que je soupçonne d’être mieux appropriée à une sortie en boite qu’à ce type d’expédition.
Toujours est-il que l’improbable duo revient bredouille une heure plus tard mais avec un nouveau plan … C’est qu’ils sont tenaces nos Aventuriers ! Ils rejoindront cette fois le « visitor center » de l’écluse pour y retrouver un taxi qui les emmènera et les ramènera … Enfin presque, puisqu’au retour, la route est fermée et qu’ils traverserons, de nuit et à l’estime, la jungle tropicale humide, pataugeant les tongs dans la boue, les bras chargés de leur butin, sursautants sans doute aux nombreux bruits de l’exceptionnelle faune environnante dont la plus terrifiante espèce est sans nul doute les fameuses grenouilles venimeuses.
Et dire que pendant tout ce temps, nous les attendons confortablement installés à bord de deux catamarans arrivés entre-temps et dont les sympathiques équipages de convoyeurs en route pour Tahiti nous ont recueillis à l’heure du « Ti-Punch » …
Quelques heures plus tard, rassasiés de pizzas, abreuvés de rhum, de bières et épuisés par l’inaction de la journée, nous dormons tous un peu mieux que la veille.
Au matin, à l’heure de la pilotine, c’est-à-dire plus tard que prévu, une légère angoisse étreint les uns et les autres … Mais nous accueillons avec bonheur la venue à bord de « notre » advisor, signe tangible de notre libération.
Ce dernier prend la peine de s’excuser et d’expliquer que l’organisation du Canal perd en efficacité depuis quelques temps. Il aurait été prévenu la nuit même où nous l’attendions … Pour le bien que cela nous fait !
Nous voilà donc repartis sur ce long chemin. L’advisor est vraiment très sympathique et se révèle inépuisable d’anecdotes historiques, de faits techniques et même de quizz-Canal ! 35 ans de Canal, cela laisse des souvenirs ! Plus guide touristique que pilote, nous n’éprouverons aucun besoin d’aller visiter le musée du Canal après ça. Heureusement, nous avons Angélica avec nous et elle tient à la perfection son rôle d’interlocutrice principale alors que les uns et les autres se relaient en fonction du besoin d’alternance soleil/ombre/cigarette. Le bonhomme est vraiment sympathique et serein, quand Angélica lui raconte l’expédition de la veille, il se contente de nous regarder avec un air attristé « elle ne devrait pas me dire ça, c’est interdit » …
Seul Glen, en mode sophrologie reste à l’intérieur. Nous nous demandons bien comment il fait, d’autant qu’il trouve encore le courage d’une ultime séance vaisselle avant les écluses, peut-être due à la culpabilité d’avoir renversé le plat de fajitas. Il en profite pour méditer sur le comment du pourquoi il est envisageable sur ce bateau d’empiler des assiettes sales au dessus de la pile d’assiettes propres.
À l’approche des écluses, nous aurons la bonne surprise de les passer seuls, c’est-à-dire sans bateau à couple. La manœuvre est donc soigneusement préparée avec les conseils de l’advisor qui se révèle être effectivement posé, expérimenté et respecté par ses collègues. Nous en tenons un bon là … dommage de ne pas pouvoir réclamer « son » advisor à chacun de ses passages.
Nous enchaînons les sas sans heurts et sans douleur. Sauf pour Manuela qui reçoit sur sa tête l’une des « bolas » envoyées par les éclusiers, heureusement sans conséquence. Les « bolas » sont des poids aux extrémités de cordes lancées par les éclusiers sur les bateaux pour récupérer les amarres. Pour ma part, j’en attrape une à la volée, mais c’est à se demander ce que certains visent vraiment.
Par contre, alors que le premier sas et franchi en un temps record nous permettant de dépasser les deux copains-catamarans d’hier soir, les deux suivants se font en compagnie d’un géant vert qui ne dispose que d’environ 60 centimètres de marge sur chacun de ses côtés. Ses manœuvres sont donc terriblement lentes et le temps s’allonge, s’allonge …
Jusqu’au moment magique où la dernière écluse ouvre ses portes sur le Pacifique, moment d’émotion immédiatement salué par une petite bière fraîche sous le « Pont des Amériques » …
Quelques milles plus loin, Manuela et moi débarquons avec les amarres et parre-battages de location pour aller récupérer les clés de l’appartement que nous louons pour quelques jours à Panamá City. De l’aveu d’Ariel, notre loueur, nous aurons meilleure mine (plus fraîche) quelque jours plus tard lors de la procédure de départ.
Pour le moment, nous nous contentons d’une douche rapide avant d’aller retrouver notre équipage à la Marina. Comme de bien entendu, nous ne les retrouverons pas à l’endroit prévu et sans le concours d’Ariel dans le rôle du messager, nous les chercherions encore alors qu’ils dînent à quelques dizaines de mètres de là.
Dernier événement notable avant de quitter nos amis, Manuela rejoindra callipyge en annexe, pour récupérer certains effets personnels, sous un magnifique orage … Ajoutez à cela la difficulté de trouver un taxi à cette heure et c’en est trop pour nos épaules fatiguées, la vieille garde prend alors congé et laisse les plus jeunes seuls partir s’encanailler pour un « dernier » verre jusque tard dans la nuit.
Alors nous arrivons à la conclusion de ce journal de traversée du canal. Bien qu’il reste encore une poignée d’anecdotes à raconter à la veillée, l’essentiel est partagé et comme il est de coutume « il est des choses sur le bateau qui restent sur le bateau » …
Pour beaucoup de monde, 24 heures d’immobilité à 6 sur un 36 pieds présagent de moments difficiles … Et bien non, quelle qu’ait été la pénibilité de la situation et de l’environnement, l’interminable attente transformera notre équipage heureusement dépourvu de vilain coucheur en un groupe plutôt bien soudé face à l’adversité. Modifiant nos enthousiasmes personnels en cohésion et en amitié. C’est sans doute cela un véritable équipage.
Pour notre part à Manuela et à moi, qui naviguons presque exclusivement seuls, c’est un peu une découverte, et nous apprécions beaucoup finalement … Nous Vous apprécions beaucoup !.. Merci à Andréa, Glen, Rich et Angélica d’avoir partagé cette extraordinaire Aventure du Canal avec nous.
C’est au moteur que nous rejoignons l’eau de Colón peuplée de crocodiles Panaméens et de tankers de toute la planète aux effluves industrielles… Malgré quelques minutes de vent favorable à mi-chemin, nous n’avons pas le temps de dire ouf que celui-ci se calme au profit d’épais nuages semblent-ils omniprésents au Panamá…
L’entrée du Canal de Panamá à l’écoute du Cristobal Signal Station à la VHF est alors une étape majestueuse de notre voyage : si grande que la photo ne peut la rendre .
Un petit mille plus loin à l’ouest nous entrons dans le chenal étroit de Shelter Bay Marina, que nous découvrons comme la première civilisation : le ponton grouille au bout duquel un préau abrite tables de pique-nique et un grand feu de cheminée, l’eau de la piscine miroite à côté d’une terrasse généreuse près des « baños », presque dignes de l’hôtel avoisinant…Première douche chaude depuis longtemps suivie de travers de porc à volonté sur la terrasse surplombant les voiliers.
Nous nous mettons tout de suite en quête d’un bateau qui prévoit de passer le Canal de Panamá et qui recherche des « Line handlers ». En effet, chaque bateau doit embarquer un minimum de 4 équipiers pour gérer les écoutes – les « lines » -utiles au passage des nombreuses écluses du Canal. Aussi l’embauche d’équipiers temporaires est un business permanent ici, et le tableau d’affichage de la Marina est une mosaïque d’annonciateurs de traversée.
Nous allons frapper la coque d’un tout petit voilier d’allure improbable, inquiétant même, en souhaitant plus que tout organiser cette prochaine aventure. Engagés, nous apprendrons que trois jours plus tard que ce bateau n’était, heureusement, que l’intermédiaire point de contact d’un bateau un peu plus grand …mieux destiné à rejoindre le Pacifique ! C’est comme ça que nous rencontrons Andréa, son propriétaire parti il y a deux mois de St Barth son île natale . C’est un garçon fougueux et inspiré avec lequel nous partagerons un bout de voyage que nous vous raconterons…
Pour l’heure, nous profitons des quelques jours avant la traversée du canal pour visiter Colón. Prévenus que cette ville est dangereuse – pour de vrai – nous demandons au guide « taxi » Stanley de nous y emmener. Le spectacle de maisons anciennes qui s’écroulent me laisse sans voix, accompagné d’odeurs nauséabondes persistantes aux abords du marché noir que nous n’aurons même pas le droit d’arpenter…Stanley un peu inquiet lui-même, préfère nous enfermer dans sa voiture le temps d’y faire une course que nous lui avons commandée…
L’autre visage de la ville de Colón est la Free Zone où touristes et marchands du monde s’interpellent dans la cacophonie et l’anarchie. C’est une zone grise gigantesque encerclée de grands murs et de barrières infranchissables au milieu de la ville.
La Marina en est assez éloignée, au milieu de la jungle et d’anciens quartiers militaires américains aujourd’hui abandonnés, le seul moyen d’en échapper en dehors de quelques heures de pointe est d’emprunter un ferry pour traverser la baie de Colón. Notre première nuit sans orage est un bonheur retrouvé et j’apprécie de pouvoir boire mon café seule et de me baigner au lever du jour dans la piscine de l’hôtel. Entre deux averses, la chaleur et l’humidité s’installent chaque jour de manière étouffante, seules quelques promenades dans la jungle nous offrent un peu de fraîcheur et de dépaysement, à la rencontre des singes hurleurs et des moustiques dévorants !
La vie de Shelter Bay nous comble tant nous rencontrons de personnes sympathiques et diverses, dont Eric un français qui travaille sur la construction d’un nouveau pont impressionnant qui reliera un jour …les deux bords de la baie…Il est généreux et passionné et nous faisons plus d’une fois la fête ensemble ou en compagnie d’autres navigateurs de passage. L’équipage entier américano-mexicain de « Uncruise Adventures » nous fait partager un peu de leur quotidien d’aventures en Alaska et en Amérique centrale…Et Rodrigo, un skipper chilien nous rejoint pour échanger sur les mœurs de son grand pays que nous comptons visiter bientôt. Des amitiés se forment et nous garderons un joli souvenir de tous ces moments notamment le soir de l’anniversaire d’Olivier qu’il n’est pas prêt d’oublier.
Jusque la veille de notre départ, quand Eric nous fait l’ultime surprise de nous rejoindre sur Takoumi pour déguster le verre de l’amitié avec une bouteille de vieux « Ron » Abuelo, l’excellent rhum de Panamá. Tout cela dans la spontanéité et pour le plaisir de partager, la vie chaleureuse de Shelter Bay nous à comblés d’amitiés nouvelles que j’espère préserver.